La domination énergétique des États-Unis : elle était un élément central de la campagne électorale de Donald Trump. Le slogan percutant drill, baby, drill (« Nous allons forer à tout-va! »), qui exprimait sans équivoque la position du président sur une foule d’enjeux, est devenu sa promesse de délester le secteur pétrolier et gazier américain du fardeau d’une réglementation jugée inefficace.

On avançait l’idée que l’augmentation de l’offre énergétique américaine ferait descendre les prix à la pompe et, ce faisant, tempérerait les tensions inflationnistes, problématique maintes fois soulevée lors de la campagne au vu de son importance aux yeux des électeurs. Scott Bessent, secrétaire au Trésor américain, a formulé une aspiration plus tangible dans son plan « 3-3-3 » : taux de croissance de 3 % du PIB; taux du déficit budgétaire à 3 %; et ajout de 3 millions de barils supplémentaires de pétrole par jour pour dynamiser la production d’énergie des États-Unis.

Le discours pro-pétrole de M. Trump a été accueilli avec enthousiasme par les producteurs d’énergie américains. Le président a tenu sa promesse en signant des décrets destinés à déréglementer l’industrie, élargir le nombre de territoires fédéraux autorisant les activités de forage et revoir à la baisse le soutien de l’État aux sources d’énergie de remplacement. Pourtant, les producteurs américains n'ont pas emboîté le pas. En fait, au premier trimestre de 2025, on a constaté une chute de 4 % du nombre de puits aux États-Unis par rapport à l’année précédente, soit un repli de 7 % par rapport à la moyenne sur cinq ans.

Les producteurs pétroliers américains confrontés à certains défis

Alors, pourquoi donc les sociétés pétrogazières américaines n’intensifient-elles pas leurs activités de forage? Pour plusieurs raisons. Les producteurs de gaz de schiste aux États-Unis doivent composer avec des cours pétroliers de rentabilité plus élevés que ceux observés chez d’autres grands pays producteurs. Selon l’édition de mars de l’enquête Dallas Fed Energy Survey, ces producteurs ont de manière générale besoin d’un cours minimal de 65 dollars américains pour rentabiliser leurs opérations de forage. À titre comparatif, il s’agit du double du cours de rentabilité des producteurs de pétrole terrestre du Moyen-Orient.

Dans un contexte dominé par la crainte que la guerre commerciale déclenchée par les droits tarifaires américains ne bride la croissance économique mondiale et ne plombe la demande pour l’or noir, les cours de référence du pétrole brut ont dévissé d’environ 15 % cette année. En avril, le cours du West Texas Intermediate, le cours pétrolier de référence en Amérique du Nord, s’est fixé en moyenne à 63 dollars américains le baril.

Parallèlement, les tarifs sur les importations américaines d'acier ont augmenté le coût du matériel pour la fracturation, ce qui a dans la foulée fait grimper les coûts de production et pourrait même hausser le cours de rentabilité des producteurs. Vu l’accroissement des coûts et la détente des cours, il n’y aurait pour l’heure aucun avantage économique à intensifier l’activité de forage aux États-Unis, d’autant que les actionnaires se mettent à l’heure de la discipline capitalistique, le souvenir de l’intervalle de 2014 à 2020 étant encore vif dans les mémoires.

Par ailleurs, les fondamentaux du marché à court terme ne devraient pas inciter les producteurs pétroliers américains à bonifier leurs investissements dans de nouvelles capacités de production. Même avant l’incertitude économique causée par les droits tarifaires, le marché mondial de l’or noir devrait, selon les attentes, afficher un excédent cette année et l’an prochain, situation qui exercerait des tensions baissières sur les cours pétroliers.

OPEP+ et croissance économique mondiale

À l’heure où le plus grand cartel pétrolier de la planète, l’OPEP+, commence à rouvrir les vannes et à accroître l’offre sur le marché (en partie sous la pression des autorités américaines) et où la croissance économique mondiale marque le pas, les fondamentaux du marché viendront davantage compliquer la tâche des producteurs américains désirant augmenter leurs dépenses d’investissement. À moyen et à long termes, on s’attend à ce que les progrès technologiques et l’électrification grandissante de nos économies améliorent l’efficacité énergétique et réduisent considérablement l’énergie nécessaire pour produire le même extrant.

Autre élément à considérer : les contraintes géologiques posent un défi de taille alors que les réserves pétrolières mondiales s’amenuisent. Depuis la révolution du gaz de schiste lancée vers 2008, la production américaine suit une tendance résolument positive. En 2024, la production américaine totale a atteint le nombre record de 13,2 millions de barils par jour, ce qui a hissé les États-Unis au rang de premier producteur du globe. Sur ce marché, plus de 65 % de la production provient de réservoirs de formations étanches. Toutefois, il s’agit d’une ressource limitée, et le boum d’exploitation du gaz de schiste aux États-Unis, qui persiste depuis près de deux décennies, tirera bientôt à sa fin.

Si certains experts de l’industrie affirment que la production américaine de gaz de schiste américain a stagné l’an dernier, l’agence gouvernementale américaine Energy Information Administration (EIA) s’attend à ce que la production de brut aux États-Unis culmine à environ 14 millions de barils par jour en 2027, soit en deçà de la cible de 16 millions de barils par jour établi par le secrétaire Bessent. Par la suite, la production devrait progressivement diminuer pour s’établir à environ 12 millions de barils par jour d’ici 2040. Étant donné que les réserves pétrolières les plus accessibles sont d’ores et déjà épuisées, l’extraction des autres ressources se révélera une entreprise de plus en plus ardue et coûteuse. Il y a fort à parier qu'il sera alors plus difficile de réaliser la vision du président Trump et d’atteindre la cible définie par le secrétaire Bessent.

La conclusion : les fondamentaux du marché dictent les décisions en matière de forage

Aux États-Unis, les producteurs de pétrole déterminent leurs activités de forage en fonction des fondamentaux du marché. Or, l’ambition pétrolière du président (cristallisée dans le mantra drill, baby, drill) pourrait bien se révéler une simple chimère… Contrairement à l’Arabie saoudite ou à la Russie, grands producteurs abritant un secteur pétrolier dominé par l’État, aux États-Unis, les décisions touchant la production sont prises en fonction de l’intérêt des actionnaires.

À moins que la nationalisation des pétrolières américaines ne soit à l’ordre du jour, persuader les acteurs du secteur des gaz de schiste d’augmenter la production ne sera pas une mince tâche. Si les tensions sur les cours engendrées par les droits de douane commencent à faire grimper les prix d’autres produits pour le consommateur américain, les lois fondamentales régissant l’économie de marché pourraient alors devenir une réalité incontournable pour l’administration Trump.

Nous tenons à remercier chaleureusement Zhenzhen Ye, économiste au Centre d’information économique et politique des Services économiques d’EDC, pour sa contribution à la présente chronique.

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