Le 1er juin, après plusieurs semaines de discussions et de spéculation, les États-Unis ont mis fin aux exemptions temporaires du Canada, du Mexique et de l’Union européenne concernant les tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium.
Bon nombre d’observateurs étaient étonnés d’apprendre que pour des motifs de sécurité nationale, l’administration américaine entendait imposer un tarif de 25 % sur les produits de l’acier et de 10 % sur ceux de l’aluminium à de nombreux pays, dont des alliés de longue date de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN).
Les acteurs de ces industries ainsi que les gouvernements étrangers ont suivi l’évolution de ce dossier pendant plus d’un an, tout en se préparant tranquillement à son issue, qu’ils auraient d’ailleurs préféré éviter.
Ce différend remonte à la campagne présidentielle de Donald Trump, au cours de laquelle il promet de protéger les fabricants des États-Unis de ce qu’il considère comme une concurrence étrangère déloyale. En avril 2017, le nouveau président demande au secrétaire du Commerce des États-Unis, Wilbur Ross, d’ouvrir une étude sur l’effet des importations d’acier et d’aluminium sur la sécurité nationale, en vertu d’une loi rarement invoquée dans les années récentes. L’article 232 du Trade Expansion Act de 1962 accorde au président un grand pouvoir discrétionnaire.
Les rapports du département du Commerce des États-Unis montrent que les importations d’acier et d’aluminium représentent des problèmes de sécurité nationale
Ces rapports publiés en février 2018 montrent que les importations d’acier et d’aluminium sont vraisemblablement des menaces à la sécurité nationale, puisque la surcapacité de production mondiale dans ces deux marchés nuit à la capacité des fabricants des États-Unis de produire des matières premières essentielles. Le département du Commerce propose au président trois options pour remédier au problème. Une des solutions proposées consiste à imposer des tarifs ou des quotas afin de restreindre les importations pendant une période de temps suffisante pour permettre aux producteurs nationaux d’acier et d’aluminium d’augmenter le taux d’utilisation de leur capacité de production, pour passer respectivement de 72 % et 39 % à 80 %.
L’administration américaine effectue sa première manœuvre lorsqu’elle annonce des tarifs entrant en vigueur le 23 mars. Cette nouvelle mesure soumet des importations d’une valeur approximative de 17,9 milliards de dollars américains à de nouveaux tarifs, et ce, pour un groupe restreint de pays, y compris la Russe, la Chine, le Japon et l’Inde (côté droit du tableau). Ensemble, ces pays représentent seulement un peu plus d’un tiers (37 %) de l’ensemble des importations des États-Unis pour les produits de ces deux marchés en 2017.
Cette première manœuvre n’est que partielle puisque de nombreux pays se voient accorder des exemptions temporaires. Ces pays exemptés exportent ensemble près de 30,1 milliards de dollars d’acier et d’aluminium aux États-Unis en 2017 (côté gauche du tableau.
Dans l’intervalle, un sous-ensemble de pays comptant sur des exemptions temporaires (Corée du Sud, Brésil, Argentine et Australie) accepte volontairement de restreindre ses exportations vers les États-Unis ou de se soumettre à des quotas. Ces pays sont sommes toute d’assez petits joueurs dans le marché des États-Unis; ils représentent dans l’ensemble 7 milliards de dollars ou 15 % des importations des États-Unis pour les produits de l’acier et de l’aluminium en 2017.
Malheureusement, le Canada, l’Union européenne et le Mexique (extrémité gauche du tableau) ne réussissent pas à négocier une solution de rechange. Le gouvernement des États-Unis annonce la fin de leurs exemptions temporaires le 31 mai 2018, pour le jour suivant. Cette décision est très importante, car ces pays (ou groupe de pays dans le cas de l’UE) sont les plus grands fournisseurs d’acier et d’aluminium des États-Unis. Leurs exportations représentent 223 milliards de dollars, soit près de la moitié des importations des États-Unis en 2017.
En 2002, le président Bush avait imposé des tarifs de 30 % sur les produits d’acier provenant de certains pays. Le Canada et le Mexique en avaient été exemptés en leur qualité de partenaires de l’ALENA, à l’instar d’autres pays développés. Les tarifs devaient initialement durer trois ans, afin de donner le temps aux producteurs américains de s’adapter à la situation. Ils ont cependant été révoqués après seulement dix-huit mois, lorsque l’Organisation mondiale du commerce (OMS) a statué qu’ils allaient à l’encontre des règles commerciales mondiales.
Étonnamment, les industries des États-Unis consommant de l’acier (y compris les secteurs de la fabrication de véhicules, des métaux ouvrés, de l’équipement électrique et de la construction) se sont opposées aux tarifs, lesquels avaient pour effet d’augmenter le prix de leurs principaux intrants et de réduire leur marge de profit. Une étude montre que l’industrie de l’acier des États-Unis a employé 3 500 nouveaux travailleurs, ce qui a engendré d’importants coûts (près de 400 000 $ par emploi).
Il existe une différence essentielle entre la vague de tarifs susmentionnée et celle d’aujourd’hui. En 2002, les tarifs douaniers des États-Unis sur l’acier ont été mis de l’avant comme mesure de protection afin de donner au marché américain le temps de prendre le dessus. Les mesures actuelles sont toutefois justifiées par des préoccupations liées à la sécurité nationale. Ces mesures sont déjà contestées par de nombreux pays, qui entendent les soumettre à l’OMS pour en vérifier la justification légale.
De plus, les États-Unis ont déjà commandé une étude supplémentaire sur l’industrie automobile, et ce, en vertu de la même législation en matière de sécurité nationale. Si des tarifs étaient imposés sur les produits de cette industrie (qui est bien plus importante que celle de l’acier et de l’aluminium), on pourrait s’attendre à une perturbation majeure du commerce mondial. Si d’autres pays en venaient à faire autant, des motifs de sécurité nationale pourraient être invoqués pour justifier des restrictions commerciales supplémentaires sur une gamme beaucoup plus grande d’industries.