Les problèmes de main-d’œuvre sont aigus en ce moment. Les données nous le disent, mais aussi – en temps réel – les exportateurs canadiens. Pour ne rien arranger, les États-Unis et l’Europe occidentale font face à la même situation. S’agit-il d’une autre contrainte immédiate dont l’effet sera temporaire ou bien cette réalité fera-t-elle partie du tableau économique pendant un encore certain temps?

Les choses peuvent beaucoup changer en une année. Lorsque la pandémie a frappé aux quatre coins du globe, la principale préoccupation était la montée du chômage. Dans les économies développées, les conditions du marché de l’emploi sont, du jour au lendemain, passées de « serrées mais stables » à « un chômage caractéristique des récessions », lequel a culminé à près de 15 % aux États-Unis et à un peu moins au Canada. Aujourd’hui, ces deux économies ont nettement amélioré leur bilan si bien que le chômage se situe maintenant à environ 1 % des faibles niveaux d’avant la pandémie. La croissance gagnant en vigueur, les entreprises ont de plus en plus de difficulté à conserver leurs talents et à recruter  de nouveaux employés pour augmenter leur effectif.

Exportation et développement Canada (EDC) reçoit des commentaires directement de la part de ses entreprises clientes. Plus tôt cette année, EDC a organisé une série pancanadienne de 14 tables rondes réunissant des clients de première importance. Ces clients ont, de façon quasi unanime, déploré les conditions très serrées du marché de l’emploi et parfois avoué que certains de leurs employés les ont quittés pour des postes semblables ailleurs, avec à la clé un salaire bonifié jusqu’à 40 %. Les données sur le salaire horaire moyen ne sont pas aussi impressionnantes, mais les chiffres montrent un rythme de croissance bien au-dessus de la zone de tolérance pour la cible d’inflation.

Voilà pour la mauvaise nouvelle. Le problème est-il passager ou davantage de nature structurelle? Le resserrement du marché de l’emploi s’explique principalement par le fait que la plupart des pays développés – et une bonne partie des marchés émergents – ont une population vieillissante. Même en opérant un virage collectif à 180 degrés en matière de natalité pour remédier au problème actuel, deux décennies seraient nécessaires pour corriger le tir. De toute évidence, nous ne pouvons pas attendre 20 ans. Alors, existe-t-il des solutions à court terme?

L’immigration sera la solution la plus rapide. Le resserrement des conditions de l’emploi est accentué par l’arrêt des flux d’immigration lors de la pandémie. La reprise du recrutement des immigrants va de soi, mais suffira-t-elle pour combler un manque à gagner de plus de 20 mois? C’est peu probable étant donné que les entreprises sont en concurrence pour attirer les nouveaux arrivants, notamment ceux qui sont qualifiés. De plus, le pays d’origine de ces travailleurs souhaite de plus en plus les garder sur le marché local, ce qu’ils ont de plus en plus les moyens de faire.

Déployer sur le marché des immigrants qualifiés de manière efficace ne s’est pas révélé une tâche facile. Pour nombre d’entre eux, une requalification est de mise, et cette démarche peut être coûteuse et prendre des années. Accélérer ce processus de manière responsable contribuerait considérablement à atténuer les tensions sur le marché de l’emploi ici même au pays.


De nombreuses entreprises canadiennes reprochent au système d’éducation de ne pas produire les diplômés dont elles ont besoin. Les relations entre les entreprises et les institutions d’enseignement supérieur se sont beaucoup améliorées au cours des deux dernières décennies, mais de l’avis des chefs d’entreprise, plus d’efforts doivent être faits pour garder une longueur d’avance sur les données démographiques. 

La mécanisation est une autre solution de choix. Son utilisation est délicate étant donné qu’elle évoque des déplacements massifs de main-d’œuvre et des images de destruction de machineries par les luddites. Pourtant, la mécanisation actuelle n’a rien à voir avec la révolution industrielle d’antan. Cette fois, la mécanisation déplace des travailleurs qui, pour ainsi dire, n’existent pas. C’est une simplification exagérée, me direz-vous. Le fait est que les entreprises sont de plus en plus enclines à reformer leurs employés afin qu’ils puissent exécuter les tâches dont elles ont besoin dans le contexte d’une économie de plus en plus mécanisée. Voilà donc une autre solution possible à notre problème actuel. 

La formation continue est également une autre solution à la pénurie de main-d’œuvre. Rester en phase avec l’évolution exponentielle de la technologie n’est déjà pas une mince affaire lorsque la conjoncture est favorable, mais si nous accusons du retard à ce chapitre, nous le faisons à nos propres risques. Chose certaine, pour rester concurrentielles et retenir les travailleurs qualifiés, les entreprises devront investir davantage dans la mise à niveau des compétences. 

D’autres pays composent aussi avec des déficits de main-d’œuvre – dont l’effet commence à se faire davantage sentir. Des entreprises actives dans d’autres pays tirent profit des communications à l’ère du numérique et du télétravail pour importer la main-d’œuvre sans la déplacer et, dans certains cas, en les payant plus. Voilà à la fois un défi et une occasion à saisir : nous pouvons adopter la même stratégie pour accéder à des bassins de travailleurs plus imposants que ceux présents dans notre propre économie.

La souplesse est un enjeu de plus en plus important, et c’est toujours le cas aujourd’hui. Les travailleurs vieillissants envisagent de prendre leur retraite. Il est d’ailleurs probable que la crise de la COVID-19  a incité certains de ces travailleurs à quitter les rangs de leur entreprise. Conserver ces personnes dépositaires de la mémoire organisationnelle et de précieuses compétences exigera de faire preuve d’encore plus de créativité et de souplesse qu’avant la pandémie. 

La mondialisation a été durement éprouvée ces dernières années, mais elle est toujours en marche. Il existe une autre façon d’importer de la main-d’œuvre sans la déplacer : investir dans des installations de production à l’étranger dans des régions ayant un surplus de main-d’œuvre. Elles sont peu nombreuses, mais ces régions existent tout de même. Et pour certains secteurs, cela reste une façon d’intensifier leur activité dans une économie subissant des contraintes de main-d’œuvre.

Enfin, des soubresauts seraient à prévoir à la suite de la mise en œuvre des politiques de vaccination. Certains secteurs subissent en effet les contrecoups du départ des travailleurs ne se conformant pas à ces politiques. Le temps nous dira si cette mesure contribue à empirer une situation déjà difficile.

Conclusion?

Le Canada est à nouveau aux prises avec une pénurie de main-d’œuvre, et ce problème prend des proportions planétaires. Nous voilà donc à nouveau à la recherche de stratégies et de solutions. S’il y avait une solution rapide, nous l’aurions trouvée il y a longtemps. Cela dit, dans notre monde technologique, il y a place pour beaucoup de créativité. Alors, soyons créatifs!