Ces jours-ci, les tensions sur les prix semblent omniprésentes. La pandémie a nous instillé l’idée qu’il nous faut désormais composer avec une économie « en marche, puis à l’arrêt ». Or, avec la réouverture des économies, les tensions exercées par la demande s’accentuent. C’est une bonne nouvelle, mais l’offre ne suit pas la cadence. En temps normal, un surplus de croissance a de quoi faire sourire puisque nous pouvons gérer ce genre de situation. Eh bien, il semble que nous ayons de la difficulté à le faire en ce moment, comme en témoignent les tensions croissantes sur les prix. Alors, l’inflation est-elle en voie de devenir incontrôlable?
Beaucoup le pensent; ces temps-ci, c’est souvent la première question que me posent les gens d’affaires. Cette inquiétude grandissante face à l’inflation s’exprime d’ailleurs dans les indices des directeurs d’achat (les PMI). Au cours des derniers mois, l’indice PMI pour le secteur de la fabrication affiche des hausses de prix parmi les deuxièmes plus importantes de son histoire, et ce, tant au Canada qu’aux États-Unis. Au pays, les attentes des consommateurs sur le front de l’inflation se maintiennent à 2 %; toutefois, sur le marché américain, elles grimpent à des niveaux pas observés depuis longtemps.
Ce n’est pas un fait anodin. Si on pose la question aux responsables d’une banque centrale, ils nous diront sans hésitation qu’il est capital de gérer les attentes en matière d’inflation pour assurer la stabilité des prix. Nous avons tous en mémoire les épisodes déplorables de la fin des années 1970 et 1980 : les taux d’intérêt étaient à l’époque montés en flèche, et il avait fallu ramener les attentes au point milieu de la fourchette cible de maîtrise de l’inflation. Une fois là, il avait été plus facile de les maintenir à ce niveau.
C’est l’argument invoqué par certains qui affirment aujourd’hui que tout va bien. Ils sont d’avis que la stabilité des prix, qui perdure depuis près de 40 ans, a ancré nos attentes autour de 2 %. C’est vrai, mais la très forte inflation des années 1970 et du début des années 1980 avait été précédée par une longue période de stabilité des prix : il avait fallu, semble-t-il, peu de chose pour faire repartir les prix à la hausse. Ce scénario pourrait-il se reproduire?
De manière générale, les banques centrales voient la poussée actuelle de l’inflation comme passagère. L’économie redémarre, et vu le bon état des capacités avant la pandémie, nous traversons tout bonnement une période de transition durant laquelle la remise en service des chaînes d’approvisionnement ne serait pas aussi facile que prévu. Dans l’ensemble, nous sommes d’accord : cette analyse tient la route et, le moment voulu, quand il sera manifeste que nous sommes sortis de la dynamique « économie en marche, puis à l’arrêt » typique de la pandémie, nous pourrons de nouveau accélérer la cadence et exécuter les commandes comme auparavant.
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Et puis il y a le contexte actuel. Aux États-Unis, les prix à la production ont bondi de 6,1 % en avril dernier en glissement annuel, contre seulement 0,8 % en décembre. Et ce n’est pas là un simple un effet de base de la pandémie; les augmentations mensuelles exprimées en taux annuels ont atteint les deux chiffres à deux reprises depuis quatre mois, et ils ont largement dépassé la cible de 2 % pendant cinq mois consécutifs.
Ces augmentations ne sont pas complètement répercutées en aval sur les prix à la consommation; or, à terme, aux États-Unis, cet indice est appelé à s’orienter à la hausse. De fait, une année sur l’autre, l’Indice des prix à la consommation (l'IPC) a fait un bond de 4,1 % en avril après avoir constamment progressé depuis le mois d’août dernier. Les prix ont atteint un crescendo, avec des gains mensuels annualisés de 7,7 % en mars et de 9,6 % en avril. Si les gains mensuels sont moins substantiels jusqu’à la fin de l’année – disons inférieurs à 3 % –, les hausses en rythme annuel se maintiendront au-dessus de la limite supérieure de 3 % de la fourchette cible d’ici la fin de l’année.
La situation est différente au Canada, mais elle pourrait changer. Ici, d’une année sur l’autre, la progression des prix à la production s’établit à 14 % : elle est donc supérieure à celle du marché américain. Cette envolée fait suite à cinq mois d’une très vive croissance dans les deux chiffres. L’inflation de base, établie selon l’Indice des prix à la production (le PPI), est également en nette hausse : en glissement annuel, il a grimpé de 10,3 % en avril.
Au Canada, les prix à la consommation sont maîtrisés, mais on note des signes d’augmentation. La situation était stable en février, mais les gains mensuels enregistrés en mars et en avril ont fait passer la croissance de l’ensemble des catégories de produit de 3,2 % à 1,1 %, et celle des catégories de base de 1,3 % à 2,2 % pendant le même intervalle. Compte tenu des tensions sur les prix en amont, la vigueur du dollar pourrait ne pas suffire pour contenir les prix à la consommation pendant encore très longtemps.
Dans notre monde à haute fréquence, les événements les plus récents influent considérablement sur notre conception des choses. De plus, le fait de relancer l’ensemble de l’activité au même moment continuera d’être problématique, surtout avant d’obtenir des preuves convaincantes que l’immunité collective a été atteinte. Et puis il y a un autre élément à considérer : advenant un retour accéléré à la pleine production, des entreprises en quête de bénéfices pourraient profiter de la vivacité de la demande pour les biens et les services disponibles – ce qui aurait l’effet pervers d’inciter certains à diminuer la production ou à prolonger les pénuries.
Conclusion?
En toute logique, il y aurait assez de capacités pour alimenter l’activité sans provoquer une flambée de l’inflation. Pourtant, la logique pourrait bien ne pas l’emporter après une année de pandémie marquée par les bouleversements et le chaos. Parallèlement, les contraintes de capacité sont plus fortes chez certaines entreprises : ces dernières auront peut-être, à court terme, moins de marge de manœuvre. Dans ce contexte, il est primordial d'avoir un œil sur vos chaînes d’approvisionnement et, si vous le pouvez, de bonifier un tantinet vos capacités.