À première vue, la femme d’affaires qui traverse le terrain du Festival autochtone du solstice d’été d’Ottawa de 2015 semble dominer le monde.
« Elle est arrivée en talons hauts, vêtue d’un blazer et d’une jupe – elle avait un style professionnel sexy », se souvient Sunshine Quem Tenasco, une entrepreneure autochtone prospère, fondatrice de Pow Wow Pitch, une communauté qui offre un soutien durable, du mentorat et de la formation.
Elle est montée sur la scène du premier Pow Wow Pitch annuel organisé par Sunshine Tenasco pour faire sa première présentation de 60 secondes et une fois au micro, elle a fondu en larmes. La foule a commencé à l’applaudir pour lui donner le temps de reprendre ses esprits. À la deuxième présentation, elle était encore très nerveuse, mais elle a réussi à se rendre au bout pendant que la foule l’encourageait.
« On vit tous la même chose lorsqu’on doit présenter notre produit », fait remarquer Mme Tenasco, dont l’apparition à l’émission Dragons’ Den sur CBC en 2010 lui a valu un prêt de 20 000 $ et l’appui de deux « dragons », Arlene Dickinson et Brett Wilson, pour Quemeez, son entreprise de fabrication de mocassins pour bébés.
« Vous voilà devant des gens en train de leur parler de vos rêves. Les entrepreneurs autochtones sont à ce point déterminés. Si vous réussissez à vous rendre aussi loin, vous allez réussir. Et la communauté sera là pour vous encourager. »
Pour Mme Tenasco, ce soutien de la communauté – « si un Autochtone arrive sur le plateau de Dragons’ Den, il a toute notre attention et tout notre soutien » – est très important si l’on veut que de plus en plus d’Autochtones présentent leurs idées d’entreprise.
Chaque année, le Pow Wow Pitch accepte 25 participants, mais depuis que l’organisation s’est étendue au reste du pays grâce à des partenariats, Mme Tenasco estime avoir entendu environ 1 700 présentations. Et maintenant que Pow Wow Pitch englobe l’ensemble des fournisseurs, entreprises et artisans autochtones de l’Île de la Tortue (le nom qu’emploient certains groupes autochtones du Canada et des États-Unis pour parler de l’Amérique du Nord), 1 000 autres entrepreneurs peuvent présenter leur produit en ligne pour avoir la chance de remporter de 500 $ à 25 000 $, accéder à du financement de démarrage et être jumelés à un mentor. Selon le Conseil canadien pour l’entreprise autochtone, on compterait quelque 60 000 entreprises détenues ou dirigées par des Autochtones, et ce chiffre ne tient pas compte des microentreprises ni des entreprises en démarrage.
Mais il y aurait moyen de faire beaucoup plus. Selon Exportation et développement Canada (EDC), les Autochtones du Canada démarrent deux fois plus d’entreprises que leurs concitoyens et concitoyennes non autochtones; les femmes autochtones démarrent cinq fois plus d’entreprises que les Canadiennes non autochtones. C’est pourquoi EDC souhaite soutenir ces entrepreneurs au moyen d’un partenariat avec Pow Wow Pitch.
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Pour EDC, ce partenariat s’inscrit dans un vaste effort visant à aider les entreprises appartenant à des Autochtones à concrétiser leurs ambitions internationales. En 2020, EDC a créé une stratégie pour aider les exportateurs autochtones et a mis sur pied un programme de diversification des fournisseurs. À ce jour, l’organisation a aidé 77 entreprises dirigées par des Autochtones, rendant possible des transactions d’une valeur de 119,3 millions de dollars. Dans le cadre de son nouveau Programme d’investissement pour le commerce inclusif, EDC s’est engagée à fournir du financement par actions à hauteur de 200 millions de dollars et a établi de nouvelles cibles pour créer de nouveaux débouchés pour les entreprises exportatrices détenues ou dirigées par des Autochtones en s’attaquant à l’un des principaux obstacles à leur croissance : le manque d’accès équitable au capital. D’ici 2023, EDC entend servir 400 clients et faire passer à 650 millions de dollars le total des activités commerciales des entreprises détenues ou dirigées par des Autochtones qu’elle facilite.
« Les Autochtones ont toujours été des commerçants. Avant la colonisation de l’Amérique par les Européens, les marchandises traversaient l’Île de la Tortue grâce à un vaste réseau formé de différentes routes commerciales, souligne Todd Evans, responsable national de projet, Entreprises exportatrices autochtones. Cet esprit entrepreneurial est encore fort et je crois que bon nombre des 60 000 entreprises et entrepreneurs autochtones au Canada sont bien placés pour renouer avec ces relations commerciales traditionnelles et miser sur ces dernières. En leur offrant un endroit pour présenter leurs idées et obtenir de l’aide dans les premières étapes de la création de leur entreprise, Pow Wow Pitch leur rend un énorme service. »
L’approche qu’adopte Pow Wow Pitch – voir au delà des frontières politiques – est une étape essentielle, selon Mme Tenasco.
Elle ajoute que « pour les Autochtones, les frontières sont des concepts étrangers. Il n’y a pas de séparation pour nous. Nous ne disons pas que nous sommes Canadiens ou Américains. Mais EDC permet à nos entreprises de traverser les frontières politiques. EDC nous ouvre des portes, on peut le faire, on peut voir grand. Sans personne pour nous dire que c’est possible, on n’y pense pas. Aider les gens à rêver et à réaliser leur rêve – voilà le rôle d’EDC ».
Si Mme Tenasco joue un rôle déterminant en aidant les autres à rêver grand, c’est ce qu’elle a vécu dans sa communauté ainsi que certaines personnes inspirantes qui l’ont poussée à le faire. Elle a grandi à Kitigan Zibi Anishinabeg, au Québec, une réserve des Premières Nations près de Maniwaki. Élevée par une mère aussi déterminée que travaillante, Luce Tenasco qui, malgré le fait qu’elle ait été analphabète au départ, a réussi à décrocher un baccalauréat en enseignement et s’est spécialisée en lecture. Deux fois par semaine, elle faisait une heure et demie de route avec sa fille de 10 ans pour se rendre à l’Université d’Ottawa pour ses cours de formation des enseignants autochtones. De retour à la maison, elle s’installait sur la véranda avec sa fille et lui demandait de lire à haute voix les documents didactiques pour ainsi commencer à apprendre en écoutant.
Sa mère, directrice d’école primaire maintenant à la retraite, qui a montré aux enfants de sa communauté à lire dans son jardin, n’est que l’une des personnes qui ont inspiré Mme Tenasco. Il y a aussi eu des oncles et des tantes qui lui ont offert un amour inconditionnel et lui ont montré la valeur de l’argent. Une ancienne a réintroduit les cérémonies et les danses qui avaient été bannies par le gouvernement et s’est organisée pour que les enfants de la réserve se lèvent tôt pour préparer le déjeuner à l’intention des membres qui participaient aux réunions du conseil de bande. Grâce à l’argent ainsi amassé pendant deux ans, tout le groupe a pu se rendre à l’Assemblée des nations, à Albuquerque, au Nouveau-Mexique, le plus important pow-wow en Amérique du Nord.
Mme Tenasco a connu des difficultés, comme l’agent de développement économique de sa bande qui a tenté de la décourager de lancer Quemeez, mais elle n’a pas baissé les bras. Après avoir commencé par vendre ses mocassins dans des pow-wow, elle est arrivée à l’émission Dragons’ Den. Si l’un des dragons a refusé sa demande en disant qu’elle ne voyait pas assez grand, il lui aurait offert un prêt de 200 000 $ si elle avait voulu mettre sur pied une usine de fabrication, elle a tout de même réussi à attirer deux grands investisseurs.
« Ça a tout changé. Une fois, Brett m’a écrit en me disant “Salut chère partenaire! Peux-tu venir à Hamilton? Ellen DeGeneres y sera et il faut que tu la rencontres”. Il est aussi arrivé qu’il m’envoie des billets pour aller ici ou là ou m’ouvre tout simplement des portes. Ça m’a donné confiance et c’est souvent ce qui nous manque dans les communautés autochtones. »
Et grâce au soutien d’EDC et d’autres partenaires, comme Shopify, Startup Canada et la Banque Royale du Canada, il y a de plus en plus d’organisations prêtes à susciter la confiance, se réjouit-elle.
« Ces partenaires investissent dans de vrais êtres humains. Sans partenaires et sans investisseurs, notre entreprise ne pourrait pas croître. EDC n’a pas besoin de s’associer à nous, mais ils veulent le faire, ils voient notre valeur et ça nous aide », fait-elle valoir.
Mais elle ajoute que pour réussir, il faut d’abord croire en son idée. « Selon moi, la plupart des gens ne se rendent pas compte qu’ils ont ce qu’il faut. Mais ils peuvent compter sur le soutien de leurs communautés pour franchir ce premier pas. »