
Alors que l’économie américaine cherche à tourner la page sur l’épisode de chocs provoqués par la crise, on assiste de l’autre côté de la frontière à un regain d’intérêt pour les politiques protectionnistes et isolationnistes. Voilà qui a un air de déjà vu, me direz-vous… et c’est effectivement le cas.
Le krach boursier de 1929, qui a semé la panique dans la sphère financière et ultimement mené à la Grande Dépression, a préparé le terrain à l’adoption de la loi Smoot-Hawley (Smoot-Hawley Tariff Act). Cette législation, qui a ouvert la voie à une montée du nationalisme économique, a fait grimpé les droits de douane sur les importations américaines d’environ 20 %, ce qui a déclenché une série de contre-droits de douane par plus de 25 pays. Cette dynamique a plombé les échanges commerciaux et accentué les effets de la contraction de l’activité économique qui a suivi.
Évolution des politiques commerciales et incidences
Près de 80 ans plus tard, l’effondrement du marché des prêts hypothécaires à risque (la crise des subprimes) aux États-Unis a entraîné une déferlante d’événements avec comme point d’orgue la grande récession. Toujours ébranlé par la crise des liquidités qui a suivi, le commerce a été mis sous tension aux quatre coins du globe. À cela se sont ajoutées une guerre des devises et l’émergence de politiques limitant l’activité commerciale.
Aujourd’hui, impatients de clore le chapitre des distorsions engendrées par la pandémie, nous faisons face à une recrudescence de l’incertitude entourant les politiques commerciales. La menace de droits de douane, les mesures de rétorsion et la montée généralisée du protectionnisme ont accru la volatilité et multiplié les tensions sur le commerce international.
Ce contexte est compliqué par la poursuite de la guerre en Ukraine et le fragile cessez-le-feu au Moyen-Orient. Il n’est donc pas étonnant que les entreprises actives sur la scène internationale semblent restées dans l’expectative.
Les données disponibles dressent un portrait qui invite à la réflexion. Si certaines d’entre elles donnent à penser que la tendance grandissante vers la fragmentation géoéconomique sonne le glas de la mondialisation, un regard sur le passé permet de dégager un tableau bien différent. Certes, les épisodes de stress économique sont souvent à l’origine de tensions commerciales et peuvent donner lieu à des revirements sur le front des politiques destinés à protéger les industries sur le marché intérieur. Pour autant, à terme, les gains générés par le commerce inciteront les entreprises à se remettre en quête d’avantages comparatifs.
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Une étude réalisée en 2014 par les économistes Mariko Klasing et Petros Milionis a révélé ce qui suit : au lendemain de l’adoption de la loi Smoot-Hawley, l’ouverture des nations du monde au commerce a diminué pendant plusieurs années, mais elle a augmenté dans les décennies qui ont suivi. De plus, durant la période de l’après-guerre, la part du commerce dans l’économie mondiale a fait un bond spectaculaire, passant d’environ 10 % à 50 % du produit intérieur brut (PIB). Ainsi, les déconvenues attribuables à des motivations géopolitiques ont été largement compensées dans les années subséquentes.
L'avenir du commerce mondial dans le contexte d’un nationalisme économique grandissant
Plus récemment, l’apport du commerce au PIB mondial a baissé par rapport au sommet de 60 % atteint avant la grande récession pour s’établir au creux prépandémique de 56 % en 2019. Malgré ce repli, cette contribution s’est rapidement redressée pour atteindre un sommet inédit de 63 % en 2022 et elle s’est maintenue dans ces eaux en 2023.
À l’évidence, les prochaines années seront éprouvantes pour le commerce mondial. Nous nous attendons pourtant à ce que la mondialisation s’adapte et ne se laisse pas freiner par cette conjoncture. Les pays de par le monde s’affairent déjà à tisser des liens avec des partenaires bien disposés, et des données tendent à montrer que les activités commerciales se réorientent vers les blocs ayant des aspirations géopolitiques semblables. Des efforts seront déployés pour remédier aux lacunes et aider les « pays faisant office d’intermédiaires » à aplanir leurs difficultés. Soulignons par ailleurs que les chaînes d’approvisionnement peuvent souvent se montrer capables d’innover plus rapidement que n’évoluent les politiques.
Conclusion? Il faut investir dans la productivité
Même si, par le passé, la mondialisation s’est exclusivement attachée à maximiser les efficiences, bon nombre d'entreprises s'emploient désormais à reconfigurer leurs chaînes d'approvisionnement afin d’être moins vulnérables, et ce, même au prix de l’ajout d’étapes (et de coûts) supplémentaires à leurs chaînes d’approvisionnement.
Or, cette augmentation du coût de la conduite des affaires exigera des entreprises mondialisées qu’elles redoublent d’efforts pour réaliser des efficiences ailleurs. Plutôt que de suspendre leurs investissements, les entreprises et les gouvernements devraient investir pour augmenter leur productivité.
Le nationalisme économique fait un retour en force, mais les gains tirés du commerce exerceront un attrait irrésistible à long terme. Il faut saisir cette occasion pour rehausser notre résilience et accroître la compétitivité de notre économie.
Nous remercions chaleureusement Ian Tobman, gestionnaire des Services économiques d’EDC, pour sa contribution à la présente chronique. N’oubliez pas que votre avis est très important pour les Services économiques d’EDC. Si vous avez des idées de sujets à nous proposer, n’hésitez pas à nous les communiquer à l’adresse economics@edc.ca, et nous ferons de notre mieux pour les traiter dans une édition future.