Ces jours-ci, quand la presse écrite nous parle de la mondialisation, c’est le plus souvent pour nous annoncer sa disparition définitive – ce qu’elle fait en employant à profusion des termes comme découplage, démondialisation, fragmentation géoéconomique et relocalisation de proximité (le reshoring). Le monde unidimensionnel du début du 21e siècle, marqué par la venue de nouveaux acteurs dans les chaînes de production mondiales et un formidable élan de richesse dans la nouvelle classe moyenne, n’existerait plus… Il serait remplacé par un monde dominé par deux blocs commerciaux : le bloc occidental mené par les États-Unis et le bloc de l’hémisphère Sud avec à sa tête la Chine. Or, cette division entraînerait une diminution du produit intérieur brut (PIB) mondial se situant entre 2 % et 9 %. Enfin, c’est ce qu’on raconte. La question se pose donc : le commerce traverse-t-il vraiment un « passage à vide » dans ce monde plus polarisé?
Depuis plus de 20 ans, la Chine s’affirme comme une puissance sur la scène du commerce international. L’ascension économique du pays a débuté avec le lancement, en 1978, de réformes visant à faciliter la transition vers une économie de marché. Grâce à son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en 2001, la Chine a accédé aux marchés européen et américain, où le consommateur est très actif. En retour, la présence d’une classe moyenne grandissante en Chine, la compétitivité des coûts sur ce marché et la grande population du pays ont incité plusieurs multinationales à délocaliser leurs activités sur le marché chinois. Résultat : le pays a profité d’investissements massifs qui l’ont aidé à s’imposer comme une dynamo du secteur de la fabrication, ce qui a porté la croissance annuelle moyenne de ses exportations à 15 % entre 2001 et 2017. À la faveur de la montée en puissance de ses exportations, la Chine a vu sa croissance économique s’accélérer, tant et si bien que le pays est devenu la deuxième économie du globe après les États-Unis.
L’affrontement de ces deux géants économiques, en vue d’établir leur domination dans plusieurs régions du globe, a eu pour conséquence d’accentuer les tensions géopolitiques. Comme la Chine ne s’est pas conformée pleinement aux principes de l’OMC, les autorités américaines ont imposé des droits de douane sur certains produits chinois. On connaît la suite : les importations américaines de marchandises en provenance de la Chine, qui avaient progressé en moyenne de 13 % par année entre 2001 et 2017, ont ralenti pour inscrire une croissance de tout juste 1,2 % entre 2018 et 2022.
En 2023, les exportations chinoises à destination des États-Unis se sont contractées de 20 %, après la menace de nouveaux tarifs douaniers. Plus récemment, l’Union européenne et le Canada ont frappé de droits de douane les véhicules électriques chinois, et le Royaume-Uni pourrait bien emboîter le pas.
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Les entreprises canadiennes font face à de nouveaux risques, sur fond de détente du marché de l’emploi national et de la demande mondiale. Grâce aux Perspectives économiques mondiales d’EDC et ses profils-pays, elles peuvent prendre des décisions d’affaires éclairées.
Les dernières mesures de représailles ne font qu’aggraver les préoccupations entourant la démondialisation. Pourtant, malgré le maintien des positions antagonistes dans l’arène géopolitique et la multiplication des obstacles commerciaux, le commerce international fait preuve de résilience. Grâce à la diversification des chaînes d’approvisionnement et à la relocalisation stratégique des activités manufacturières, le commerce continue son expansion. En effet, les entreprises cherchent des moyens de réduire les risques engendrés par leurs processus et leur dépendance à un seul marché. L’adoption de pareilles stratégies se traduit par un remodelage des liens commerciaux plutôt que par la rupture pure et simple de ces liens.
Cette reconfiguration des chaînes d’approvisionnement mondiales est manifeste. Elle s’exprime par l’intensification du commerce entre les États-Unis et des pays comme le Mexique et le Vietnam, mais aussi par la volonté des entreprises de se mettre en quête d’autres fournisseurs. Les exportateurs chinois, quant à eux, trouvent des façons novatrices de composer avec les barrières commerciales érigées par les États-Unis en acheminant leurs produits vers des pays faisant office « d’intermédiaires ». Bon nombre d’entreprises chinoises investissent aussi dans ces pays tiers et s’y implantent pour éviter ces mêmes barrières, ce qui contribue à ancrer encore plus fermement la notion de mondialisation.
Le Mexique, pays signataire de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), est devenu un tremplin pour les exportations chinoises vers les Amériques. Pour preuve : les importations mexicaines de fer et d’acier en provenance de la Chine ont bondi de près de 300 % en 2023 par rapport au niveau de 2019. En mai, les exportations mexicaines de fer et de tuyaux en acier ont augmenté de 842 % par rapport au mois de septembre 2023. Les véhicules électriques chinois se retrouvent au Mexique, qui a supplanté la Chine à titre de premier exportateur de marchandises vers les États-Unis. Cette situation provoque de vives réactions à Washington à l’approche de l’examen de l’ACEUM.
L’évolution des tendances commerciales à l’échelle mondiale est aussi visible dans les flux d’investissement direct à l’étranger (ou IDE), alors que des pays comme l’Inde, le Vietnam, le Mexique, Singapour et l’Irlande suscitent l’intérêt des entreprises multinationales souhaitant accroître leur présence à l’international. Par exemple, les investissements chinois au Vietnam – qui représentaient à peine 1 % des IDE entrants du pays en 2010 – ont grimpé à 18 % en 2023, ce qui a notablement renforcé les capacités de fabrication et d’exportation du Vietnam. Ce regain a permis au Vietnam de faire passer la part de ses exportations vers les États-Unis d’un peu moins de 20 % à 27 % pendant le même intervalle. À ce chapitre, notons que même si l’excédent commercial de la Chine avec les États-Unis a chuté de plus de 100 milliards de dollars américains l’an dernier, les biens chinois a valeur ajoutée continuent de se frayer un chemin vers le marché américain par l’entremise d’autres pays tiers comme le Vietnam, la Thaïlande, l’Inde, le Cambodge, la Malaisie et la Corée du Sud.
Conclusion?
La perception générale semble indiquer un déclin du commerce axé sur la coopération. La réalité est cependant plus nuancée. Les obstacles au commerce ont effectivement triplé, mais le volume des activités commerciales à l’échelle planétaire a augmenté en moyenne de 4 % chaque année entre 2019 et 2023.
Les entreprises deviennent florissantes en produisant des biens au moindre coût et en les vendant au prix le plus élevé; et ce genre de dynamique est rarement à l’œuvre dans le même marché. Tant et aussi longtemps que les entreprises gagnent à externaliser leurs facteurs de production à un moindre coût, d’autres entreprises rivales devront faire de même ou risquer de perdre en compétitivité.
Grâce à la relocalisation stratégique des activités de fabrication, le commerce mondial demeure résilient. En raison de la persistance des frictions géopolitiques, il y a fort à parier que ces tendances continueront de façonner l’avenir du commerce international et de rendre l’économie mondiale plus fragmentée, mais ses acteurs néanmoins toujours interdépendants.
Nous tenons à remercier chaleureusement Prince Owusu, économiste principal au Centre d’information économique et politique d’EDC, pour sa contribution à la présente édition.
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