Les politiques proentreprises proposées par le président américain Donald Trump – qui préconise de mettre la hache dans l’administration publique en réduisant les impôts et en optant pour la déréglementation – à insuffler un nouvel optimisme à l’égard des perspectives pour l’économie américaine. De fait, l’indice des directeurs des achats (PMI) établi par l’Institute for Supply Management, en hausse en décembre, s’est résolument inscrit en territoire expansionniste. Parallèlement, la confiance des petites entreprises est revenue au niveau de 2021 alors que l’indice des perspectives économiques des chefs de la direction d’entreprise du Business Rountable a poursuivi son ascension.

Le raffermissement de la confiance des entreprises devrait sans doute stimuler l’activité d’investissement et d’embauche. Et qui dit création d’emplois dit aussi augmentation du revenu et des dépenses des ménages. Or le regain de la consommation sera un baume pour les bénéfices des entreprises et favorisera la création d’un cercle vertueux .

On le sait : nous, les économistes, sommes d’un tempérament légèrement anxieux. Malgré l’amélioration de la confiance, nous sommes préoccupés par la montée en puissance des politiques très favorables aux entreprises à l’origine ce bel optimisme. Par ailleurs, le simple fait d’abaisser les taux d’imposition des sociétés soulève certaines interrogations au sujet du déficit budgétaire et du gonflement de la dette publique aux États-Unis.

Et pour cause. À 120 % du PIB, la dette publique américaine a dépassé le sommet atteint en 1946 au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. À l’époque, on avait la certitude que les dépenses prendraient fin une fois la guerre terminée. Aujourd’hui, toutefois, il ne semble y avoir aucune solution clairement définie pour remédier aux déséquilibres budgétaires. Dans ce contexte, le Bureau du budget du Congrès (CBO) prévoit un déficit de 6,2 % cette année.

Dette publique : les tendances mondiales

Et les États-Unis ne sont pas un cas isolé. La dette publique mondiale s’alourdit depuis plus de 15 ans. Cela dit, les déficits demeurent élevés sur d’autres marchés développés, situation attribuable à la diminution des recettes et aux nouvelles dépenses nécessaires pour mener à bien de nouvelles priorités comme la transition énergétique, la remilitarisation et la prestation de soins à une population vieillissante. En conséquence, la dette publique est montée en flèche pour se fixer à 95 000 milliards de dollars en 2024, ce qui correspond à peu près à la taille de l’économie mondiale.

Comment expliquer l’agitation soudaine des marchés? Depuis plus d’une décennie, les gouvernements sur les marchés développés profitent de taux d’intérêt historiquement bas, les banques centrales étant intervenues pour atténuer les chocs de la crise financière mondiale et de la pandémie de COVID-19. Ces jours sont bel et bien révolus. Alors que les autorités monétaires font le choix de maintenir une posture accommodante, les inquiétudes liées à des tensions persistantes sur les prix dans certains marchés développés font augmenter les rendements sur les obligations d’État à long terme, c’est-à-dire les taux d’intérêt sur les emprunts des gouvernements. Un simple calcul révèle que les taux d’intérêt corrigés de l’inflation excèdent la croissance réel du PIB. Pour ces gouvernements, il devient alors impératif d’afficher un excédent budgétaire pour stabiliser les ratios de la dette au PIB.

Appréhensions à propos de la gestion de la dette

L’accroissement des rendements témoigne aussi des appréhensions concernant la taille de la dette publique et la capacité des gouvernements à la gérer au fil du temps. Les prêteurs exigent des primes plus élevées en raison du risque accru de non-paiement, et ce, malgré le penchant des banques centrales pour une politique accommodante. Même s’il n’y a aucune raison de remettre en cause la capacité d’emprunter de l’État américain, l’absence d’options de rechange aux bons du Trésor américain (au vu du « privilège exorbitant conféré au dollar américain »), certains pays comme le Brésil, l’Inde et la Chine et même des alliés plus proches comme la Malaisie aspirent à réduire leur dépendance au billet vert.

Au moment où les extrémités de la courbe de rendement deviennent moins soumises à l’effet des taux directeurs, les observateurs du marché se demandent si certains gouvernements se dirigent vers une spirale négative de la dette qui les pousserait à emprunter davantage pour s’acquitter des coûts plus élevés du service de la dette. Cette inquiétude est plus vive à l’égard des gouvernements aux prises avec des vulnérabilités structurelles et des difficultés cycliques, deux éléments qui les exposent davantage à l’effet du vigilantisme obligataire.

Pour sa part, le Royaume-Uni peine à maîtriser la taille de sa dette, le déficit budgétaire britannique projeté devant s’élever à 4,8 % du PIB. En novembre, les crises politiques et l’impasse budgétaire ont catapulté les primes de risques de l’État français au-dessus de celles de la Grèce, une première. Dans la même veine, aux États-Unis, on s’attend cette année à ce que les dépenses affectées au service de la dette surpassent les dépenses pour la défense. 

Conclusion

Malgré les perspectives éclatantes accolées à l'économie américaine, l’augmentation des rendements fait émerger le risque d’un recalibrage désordonné des marchés des capitaux. D’un point de vue macroéconomique, les rendements plus élevés entraînent le resserrement des conditions financières pour les entreprises et les consommateurs. Cette dynamique, qui ne cadre pas avec le cycle économique actuel, pousse les rendements à la hausse à l’échelle mondiale alors que les autres pays emprunteurs s’adaptent pour attirer des capitaux de l’étranger, ce qui exerce des tensions sur les économies les plus vulnérables.

L'Institute of International Finance projette que, d’ici 2030, la dette publique sera pratiquement multipliée par deux pour frôler les 200 000 milliards de dollars. Cette projection a incité la Banque des règlements internationaux (BIS) à tirer la sonnette d’alarme en décembre dernier. Selon elle, les niveaux de la dette constituent l’un des risques les plus graves menaçant l’économie mondiale.

 N’oubliez pas que votre avis est très important pour les Services économiques d’EDC. Si vous avez des idées de sujets à nous proposer, n’hésitez pas à nous les communiquer à l’adresse economics@edc.ca, et nous ferons de notre mieux pour les traiter dans une édition future.