« Je n’ai pas encore rencontré de riches économistes. » C’est ce que m’a déclaré un éminent canadien lors d’une conférence il y a quelques années. Ce commentaire faisait certainement référence à la pertinence et à l’exactitude du travail des économistes. Quiconque ayant parié sur des prédictions au bout du compte erronées s’exprimerait de la même façon. Ces « fausses » prédictions ont été nombreuses : un baril de pétrole à 200 dollars le baril, qui s’est finalement fixé à 35 dollars; un huard chutant à 50 cents, qui s’est plutôt hissé à parité. Les économistes n’ont-ils pas prédit avec succès sept des trois dernières récessions... Et la liste continue. Malgré cela, les économistes font encore les grands titres, et occupent une place de premier plan dans les discussions de nature stratégique. Est-ce que tout cela est logique? 

Bon nombre de diplômés en économie d’entreprise ne gardent pas un souvenir vraiment mémorable de leurs cours d’économie. Aux côtés de matières plus concrètes comme la finance, la comptabilité et le marketing, on trouve le programme qui forme la science économique moderne : un terreau fertile pour les abstractions, les approximations, les exceptions, les hypothèses d’une simplicité déconcertante, les élasticités en apparence logiques ou incohérentes et une foule d’autres notions. Et plus on étudie ces concepts, plus ils semblent difficiles à saisir.

Tout comme le cycle économique, la profession a connu ses hauts et ses bas. Elle s’est illustrée lors des moments difficiles, notamment durant la Grande Crise, mais elle a aussi connu des déconvenues, comme les épisodes de stagflation dans les années 1970. L’émergence de l’économétrie – qui adapte les modèles complexes de la physique et s'en inspire afin de prédire la tenue de l’activité économique – a propulsé l’économie dans l’univers de la science et a soulevé l’enthousiasme à propos de ses capacités. En pratique, le manque d’exactitude de ces prédictions a été une grande déception pour tous… excepté probablement pour les humoristes.

Malgré tout, les entreprises n’ont jamais renoncé complètement à faire appel à la profession. Il est vrai que l’effectif des services économiques au sein de grandes entreprises a diminué au fil du temps. Et parce que ces services sont des centres de coûts, ils demeurent exposés en permanence à des événements tels que des restructurations, des fusions et des ralentissements de l’économie.

Dans ce contexte, l’avenir de la profession ne s’annonce pas rose. Par chance, deux éléments majeurs permettent de croire que l’économie d’entreprise gagnera en utilité et en pertinence. Le premier élément : la nouvelle réglementation financière, mise en place après que le secteur financier a frôlé la catastrophe en 2008, exige une analyse des scénarios afin de formuler les plans d’urgence qui s’imposent. Cette exigence a entraîné un renforcement des capacités analytiques. Résultat : beaucoup d’entreprises engagent des économistes quantitatifs et se dotent de modèles économétriques pouvant proposer des scénarios de rechange, qui constituent alors des composantes fondamentales du processus.

Le second élément est de nature technologique. Les premières machines économétriques, qui datent des années 1960 et 1970, s’apparentaient à l’hélicoptère de Léonard de Vinci : en théorie, ces machines devaient fonctionner, mais la technologie nécessaire pour les faire tourner n’existait pas encore.  Dans le cas de la science économique – et notamment de l’économétrie –, c’étaient la qualité des données et la puissance de calcul qui posaient problème. Depuis, des améliorations notables sur ces deux fronts ont décuplé la puissance de ces machines et, par le fait même, renforcé la vielle économique.

Que réserve l’avenir? Chose certaine, cette aventure ne fait que commencer. De vastes quantités de données sont continuellement créées : par les instances officielles, mais aussi par les entreprises et les consommateurs – des données générées par les appareils intelligents, les automobiles, les systèmes de numérisation, entre autres. Les entreprises du monde entier se rendent compte qu’il est capital de recueillir et d’organiser correctement ce nombre incalculable de données. Tirer des conclusions à partir de ces données est un exercice complexe qui demande d’établir des corrélations et des liens de causalité; bref, un travail où excellent les machines et les économétriciens expérimentés. Pour demeurer concurrentielles, les entreprises devront de plus en plus recourir à une approche sophistiquée afin de bien gérer et interpréter les données, un terrain de jeu où l’économiste d’entreprise évolue avec brio.

Conclusion?

Les économistes sont sur le point d’accroître considérablement leur fortune, à condition qu’ils aient la capacité de cerner les tendances et de développer des systèmes utiles et efficaces pour les entreprises tournées vers l’avenir. Les entreprises, peu importe leur forme ou leur taille, doivent renoncer à leur cynisme de longue date envers la profession; elles doivent plutôt tirer parti de la précieuse expertise de l’économiste et de sa capacité méconnue d’analyse stratégique. Et vous n'avez pas à me croire sur parole : il vous suffit de demander aux géants Google et Amazon de vous expliquer leur approche dans ce domaine.