Dans mon Propos du 10 mars, j’ai parlé de la situation en Ukraine et de ses effets sur les tensions persistantes pesant sur les prix à l’échelle mondiale, la croissance et la politique monétaire. Les événements du jour ont placé les banques centrales à un endroit qu’elles apprécient peu : le devant de la scène.
L’élan de la demande, les efforts de la production pour relancer l’activité et les perturbations continues touchant les chaînes d’approvisionnement soulèvent une inquiétude : celle que la montée des prix va plomber le pouvoir d’achat des consommateurs et leur capacité à dépenser, et compliquer la planification des entreprises. Alors, l’inflation va-t-elle compromettre la reprise?
Les Services économiques d’EDC croient que l’inflation va ralentir, à mesure que la pandémie perd du terrain. Ce contexte permettra de limiter les contraintes sur l’offre et d’encourager les consommateurs à se tourner de nouveau vers l’achat « d’expériences » ou de services.
Bien entendu, la situation en Ukraine pose un risque. C’est aussi le cas des conflits imminents dans le monde du travail, des blocages à la frontière et des aléas climatiques, comme les incendies de forêt et les inondations survenus l’an dernier en Colombie-Britannique. Vous le savez : les économistes affectionnent les belles formules; dans le cas de l’inflation, nous aimons à répéter que des prix élevés sont d’habitude le meilleur moyen de freiner l’inflation.
Dans l’immédiat, on se demande ce que les banques centrales feront pour contrer l’inflation ou pour éviter que des attentes inflationnistes ne s’installent.
Les banques centrales des pays du G7 surveillent de très près le risque de chute dans un cycle inflationniste. Nombre d’entre elles ont commencé à prendre des mesures dans le cadre de leur nouveau régime de politique monétaire en mettant fin ou en annonçant la fin de leur programme d’assouplissement quantitatif (AQ), et en retirant progressivement de leur bilan les actifs arrivant à échéance. La Banque du Canada, la Banque d’Angleterre et maintenant la Réserve fédérale américaine augmentent leurs taux pour la première fois depuis 2018.
Les banques centrales ont peut-être, pour ainsi dire, mis un terme à la fête en cessant de remplir le bol à punch, mais le véritable test pour les marchés se produira lorsque les responsables de la fête vont rallumer les lumières et appeler des taxis pour les invités. En théorie, les taux ont été relevés, mais ils suivent encore une politique très accommodante. Le virage vers une politique monétaire restrictive et la réduction active du bilan des banques centrales par la vente d’actifs – soit en resserrant la politique d’AQ – ne sera pas sans conséquence, surtout si les mesures prises sont trop sévères et trop rapides.
Jusqu’ici, le financement bon marché a permis aux gouvernements d’emprunter avec facilité. C’est ce qui explique, notamment, que la dette publique américaine soit passée de 60 % du produit intérieur brut (PIB) en 2007 à plus de 100 % aujourd’hui. Ces conditions ont contribué à la progression historique des valeurs boursières et à l’abondance du crédit accordé au secteur privé. Fait à noter, depuis la chute de Lehman Brothers, plus de mille réductions de taux à l’échelle mondiale ont été appliquées, et plus de 23 000 milliards de dollars ont été injectés par les banques centrales au moyen de mesures d’AQ. Tout changement soudain à cet environnement pourrait être pénible, être la source de turbulences sur les marchés boursiers et financiers, et même sur le marché du logement dans certains pays; il pourrait aussi ternir l’attrait de certains produits de base et déstabiliser des monnaies à l’échelle du globe.
Par ailleurs, des rendements plus élevés pourraient faire grimper les coûts d’emprunt et diminuer l’attrait d’actifs plus risqués. Cette situation pourrait rendre vulnérables les entreprises surendettées qui, ces dernières années, ont contracté une dette non productive à un niveau qui n’est pas viable. Pour citer l’inimitable Warren Buffet, c’est quand la mer se retire qu’on voit qui se baignent nus…
À l’international, le resserrement monétaire dans les économies avancées pourrait inverser le flux des capitaux sur les marchés émergents, dont plusieurs ont mis à l’essai des budgets déficitaires plus importants et des politiques monétaires non conventionnelles.
Les gouvernements et les entreprises dans les pays à revenu faible et à revenu intermédiaire ont émis des obligations d’une valeur de 300 milliards de dollars américains en 2020 et en 2021, respectivement, ce qui représente une hausse de 30 % par rapport au niveau d’avant la pandémie.
Si la crise financière mondiale de 2008 était une réponse collective à la récession de 2001 « qui ne s’est pas matérialisée », comme plusieurs l’ont affirmé, alors on peut s’interroger sur l’ampleur des retombées générées par les vastes programmes de relance déployés dans le système financier mondial ces derniers temps.
Conclusion?
Les banques centrales du monde sont confrontées à un terrible dilemme. Si leur action pour maîtriser l’inflation n’est pas assez robuste, elles risquent une envolée incontrôlée des prix. Si elles optent pour une action trop stricte, elles risquent de provoquer un retrait de la politique d’AQ semblable ou pire à celui de 2013.
Par chance, la croissance économique a le vent dans les voiles. À vrai dire, ce dynamisme est la cause de plusieurs des difficultés actuelles. Selon nous, cette solide croissance donne aux banques centrales une certaine marge d’erreur, qui est cependant très diminuée par les événements imprévus et risqués qui surviennent au quotidien. Il nous reste à espérer que les banques centrales du monde garderont leur assurance sous le feu des projecteurs.
Les Services économiques d’EDC vous invitent à leur faire part de vos commentaires, qu’ils soient élogieux ou défavorables. Si vous avez des idées de sujets à nous proposer, n’hésitez pas à nous les communiquer et nous ferons de notre mieux pour les traiter dans une édition future du Propos.