Au printemps, bon nombre d’économies avaient le vent dans le dos. En effet, les résultats du premier trimestre étaient étonnamment robustes aux États-Unis, en Chine et au Canada. Même le marché européen, qui était entré en récession au début de l'année, avait fait mieux que prévu à la fin de 2022. Toutefois, en 2023, les effets d'événements ponctuels – notamment une météo d'une douceur inhabituelle ayant diminué la demande énergétique en Europe, une récolte record au Brésil, l'utilisation de l'épargne excédentaire par les consommateurs nord-américains ou encore la normalisation de l'activité au lendemain de la réouverture de l'économie chinoise – ne devraient pas apporter un soutien additionnel à l'économie mondiale.

Soyons clairs : nous ne nous attendons pas à un scénario qui s’apparente à une crise financière mondiale, mais plutôt à un passage à vide d’ici la fin de l’année et au début de 2024. Dans notre édition estivale des Perspectives économiques mondiales, nous prévoyons une baisse de régime dans plusieurs des principaux moteurs de la consommation – moteurs qui ont jusqu’ici  imprimé une grande partie de l’élan économique. Ces six derniers mois, les hausses de taux d’intérêt ont déjà diminué considérablement la richesse réelle des ménages. Par ailleurs, l'augmentation des coûts d’emprunt a eu de graves répercussions sur le marché du logement. Cette situation influera sur le moral et les habitudes des consommateurs par le biais de ce que les économistes appellent l’effet de richesse négatif.

On le sait, les consommateurs américains et canadiens ont puisé dans l’épargne excédentaire cumulée lors de la pandémie pour les aider à financer leurs achats durant la montée en flèche de l’inflation. Or, une bonne partie de ce pactole a maintenant été utilisé. Ce qui en reste se concentre chez les personnes mieux nanties qui se soucient moins de la manière dont chaque dollar est dépensé. En fait, au Canada, la situation des travailleurs moins fortunés ayant la plus forte propension marginale à consommer est pire qu’avant la pandémie.

Les Services économiques d’EDC notent déjà des signes de dégradation dans le marché de l’emploi. On constate de nettes baisses du nombre d’emplois dans certains secteurs. De ce fait, la croissance de l’emploi devrait commencer à reculer, surtout dans un contexte marqué par des coûts plus élevés, une demande moins vigoureuse et des conditions de crédit plus serrées qui plombent les bénéfices des entreprises. Si ce recul n’a pas lieu, et si les employeurs réussissent à démentir le précédent voulant que des taux plus élevés mènent à un chômage plus élevé, les banques centrales n’auront d’autres choix que de prendre des mesures pour qu’il se produise. La croissance des salaires dans une bonne partie du monde développé dépasse encore les taux de la fourchette cible de l’inflation fixée par les banques centrales.  


Nous nous attendons à ce que l’inflation soit ramenée autour de la cible d’ici 2024 grâce aux effets retardés des hausses de taux d’intérêt, du rééquilibrage budgétaire, de l’allégement du bilan des banques centrales, d’une demande mondiale moins robuste et de l’impact modérateur de la comparaison des prix d’une année sur l’autre. Toutefois, les prix demeurent élevés. Les salaires élevés et les coûts obstinément élevés du logement et des services ont poussé la quasi-totalité des banques centrales des grandes économies à maintenir le resserrement des conditions de prêt, la République populaire de Chine faisant figure d’exception notable à ce chapitre.

Ce contexte pose un véritable défi pour les banques centrales. Pourquoi? Parce qu’elles doivent, d’un côté, assurer la stabilité des prix et, de l’autre, éviter de faire plonger l’économie dans la récession ou encore de provoquer une débâcle financière. Devant ce dilemme, nous continuons de croire que les banques centrales donneront la priorité à la croissance, même au prix d’une augmentation du chômage. De ce fait, nous nous attendons à ce que la Réserve fédérale américaine et le Banque du Canada augmentent à nouveau leurs taux cet été. Pour sa part, la Banque centrale européenne devrait plus que maintenir la cadence en raison d’une croissance meilleure que prévu dans la région.

Ces mesures viendront assombrir les perspectives durant la seconde moitié de 2023 et au début de 2024 dans les économies avancées, d’autant qu’elles s’ajouteront aux répercussions financières des récentes turbulences qui ont agité le secteur bancaire. L’inquiétude qui s’est installée sur les marchés plus tôt cette année à la suite de la faillite très médiatisée de certaines banques a rendu les prêteurs plus prudents à l’égard des activités de prêt, surtout parce que nous ignorons encore quels éléments pourraient déclencher le prochain mouvement de panique. Cette inquiétude et l’incidence du plus vigoureux cycle de relèvement des taux en 25 ans réduiront les flux de crédit disponibles au cours des prochains trimestres et pourraient même entraîner une contraction dans certaines économies.

Au vu de ces considérations, nous tablons sur une détente des activités d’investissement et d’embauche des entreprises, qui seront plus nombreuses à devenir insolvables à la fin d’une décennie de crédit bon marché. Par conséquent, d’après les Services économiques d’EDC, la croissance de l’économie américaine glissera à 1,3 % en 2023, puis à 1 % en 2024. Les ménages canadiens très endettés diminueront leurs dépenses afin de s’acquitter du coût plus élevé du service de leurs dettes. Ce contexte se répercutera sur l’activité en général et ramènera la croissance du produit intérieur brut (PIB) à 1,2 % en 2023 et à 1,4 % en 2024. En Europe, nous anticipons un fléchissement de la croissance, qui chutera à 0,9 % cette année et à 1,1 % en 2024.

La Chine, quant à elle, continuera de subir les effets persistants du repli du secteur immobilier, d’une diminution de la confiance, d’un chômage record chez les jeunes et du tassement de la demande du côté des exportations. Les autorités chinoises misent énormément sur l’économie; pourtant, son essor reste limité par les niveaux déjà élevés d’endettement des administrations locales. Dans ce contexte, la croissance chinoise atteindra seulement 5,5 % cette année et 4,7 % en 2024.

Étant donné que la Chine contribue à hauteur de 32 % de la croissance mondiale depuis les dix dernières années et que l’économie chinoise est une importante dynamo de l’activité des marchés en développement, la croissance sera freinée à l’ensemble des économies en développement, dont plusieurs sont déjà éprouvées par les coûts élevés du service de la dette, une demande en berne pour leurs exportations et une marge de manœuvre limitée pour stimuler la croissance au moyen de programmes publics. Voilà pourquoi nous prévoyons une croissance de l’économie mondiale d’à peine 2,9 % cette année et de 3 % en 2024.

Les perspectives pour la demande mondiale sont plus moroses. Or, cette morosité se répercutera sur le cours des produits de base. Les cours du pétrole brut West Texas Intermediate devraient s’établir en moyenne à 77 dollars cette année et à 73 dollars en 2024, vu la capacité excédentaire et la faiblesse de la demande. La progression des cours du cuivre restera aussi en demi-teinte, car les perspectives de la demande en Chine dépassent largement la demande grandissante pour l’électrification. Cette conjoncture et la dynamique des taux d’intérêt que nous avons décrites précédemment feront en sorte que le dollar canadien, face au billet vert, s’échangera en moyenne à 74 cents durant l’horizon prévisionnel.

Conclusion?

Après avoir orchestré pendant deux ans un solide rebond au sortir de la pandémie, voilà que l’économie mondiale connaît une baisse de régime. Il n’y aura certes pas un retour aux creux observés lors de la crise de la COVID-19, mais nous nous attendons à ce que l’activité traverse un passage à vide au cours des 12 prochains mois, avant de se stabiliser plus tard en 2024. Les risques de dégradation planent toujours, alors que les décideurs tentent de gérer habilement les risques et de nous tirer d’affaire.

Nos sincères remerciements à Ross Prusakowski, directeur du Centre d’information économique et politique d’EDC, pour sa contribution à la présente édition.

Les Services économiques d’EDC vous invitent à leur faire part de vos commentaires. Si vous avez des idées de sujets à nous proposer, n’hésitez pas à nous les communiquer à l’adresse economics@edc.ca et nous ferons de notre mieux pour les traiter dans une édition future du Propos.