Yousef Salama est un spécialiste des infrastructures. Il sait comment elles sont planifiées, financées et construites. À titre de directeur du développement des affaires d’Exportation et développement Canada (EDC) à Chicago, il a pour mission de faire connaître aux entreprises canadiennes les débouchés qu’offrent les États-Unis dans ce secteur.
« Mon travail à EDC comporte deux grands volets, explique celui qui est originaire de London, en Ontario. Le premier consiste à créer une stratégie axée sur le client sur laquelle appuyer notre travail auprès des entreprises spécialisées dans les infrastructures au Canada et aux États-Unis et qui ont besoin de notre soutien. Le deuxième consiste à faire connaître aux entreprises canadiennes les débouchés intéressants, ici, aux États-Unis. »
Yousef Salama était la personne toute désignée pour occuper le poste au bureau d’EDC à Chicago. Il possède une longue expérience et de vastes connaissances dans le secteur des infrastructures tant au Canada qu’aux États-Unis.
Titulaire d’une maîtrise spécialisée en administration publique et en droit à l’Université York de Toronto, il a passé sept ans au service de PPP Canada, une société d’État qui supervisait les partenariats publics-privés (PPP) dans la sphère des infrastructures jusqu’à sa dissolution en 2018.
Fort de son expérience au Canada, Yousef Salama s’est lancé dans l’aventure états-unienne. Il a joint la Los Angeles County Metropolitan Transportation Authority pour l’aider à mettre sur pied son programme de PPP. Après un passage dans le secteur privé, il a travaillé pour la Chicago Metropolitan Agency for Planning, où il a occupé le poste de directeur général adjoint responsable de l’octroi du financement dans les transports, de l’analyse des recherches, de la modélisation et des statistiques démographiques.
Les infrastructures aux États-Unis nécessitent une attention urgente. En effet, le rapport de 2021 de l’American Society for Civil Engineers révèle que dans les dix dernières années seulement, le manque à gagner dans la reconstruction, la modernisation et l’entretien des infrastructures avait atteint 2 600 milliards de dollars américains. Cet écart grimpera à près de 10 000 milliards de dollars d’ici 2039 si rien n’est fait.
Mais ce secteur est si gigantesque qu’il n’y a pas assez de sociétés de construction, de main-d’œuvre, d’équipement et de ressources en ingénierie et en conception aux États-Unis pour répondre aux besoins. Dans un avenir rapproché, le secteur sera également aux prises avec une pénurie de matériaux de construction cruciaux, comme le cuivre, le bois d’œuvre, l’aluminium et l’acier, et d’autres minerais essentiels à la transition énergétique comme le lithium, le nickel et le cobalt. Cette situation devrait donc créer énormément de débouchés pour les entreprises canadiennes spécialisées dans l’un ou l’autre des volets de l’infrastructure.
Reconnaissant la gravité du problème, le gouvernement états-unien cherche à redresser la situation au moyen d’un vaste programme de financement et d’un programme de financement de projets à faible coût. Le premier, the Bipartisan Infrastructure Law (BIL), prévoit 1 200 milliards de dollars en financement pour la reconstruction et la modernisation de quatre secteurs clés. Le second, l’Inflation Reduction Act (IRA), qui représente 400 milliards de dollars, vise à offrir du financement et des crédits d’impôt aux projets essentiels à faible coût.
La BIL, plus important investissement à long terme dans l’histoire des infrastructures et de l’économie des États-Unis, vise les secteurs suivants et doit offrir 1 200 milliards de dollars en financement (dont 550 milliards en nouveaux financements) répartis à peu près comme suit :
- Transport : 848 milliards de dollars consacrés aux autoroutes, aux routes, aux ponts, aux aéroports, au transport en commun, aux infrastructures pour véhicules électriques, aux autobus et aux trains.
- Énergie : 358 milliards de dollars consacrés à l’énergie solaire et éolienne, à l’hydrogène propre et à la production de batteries.
- Large bande : 65 milliards de dollars consacrés au déploiement, à l’infrastructure intermédiaire, à la cartographie et à l’adoption de la large bande.
- Eau: 55 milliards de dollars consacrés à l’élimination du plomb, au traitement, à la distribution et au stockage de l’eau ainsi qu’à l’infrastructure de traitement des eaux usées.
On compte déjà de nombreux débouchés dans ces secteurs. Mais trois autres domaines offrent aussi des possibilités à l’heure actuelle et selon Yousef Salama, ils sont appelés à connaître une bonne croissance :
- La monétisation des actifs va s’intensifier à mesure que les municipalités, les États et les organismes fédéraux vendront leurs actifs pour améliorer leurs résultats et combler le manque à gagner en infrastructure. Les manœuvres législatives à Washington, dont le financement technique prévu à la BIL pour favoriser la planification de la monétisation des actifs, un rapport du Congrès devant être déposé le 1er août 2024 pour mettre en lumière les problèmes et les solutions ainsi que le dépôt du projet de loi H.R. 490 réclamant la création d’une banque de l’infrastructure fédérale montrent qu’une utilisation accrue des investissements privés (plutôt que le financement public) est à prévoir à la suite de la BIL. Cette situation pourrait offrir d’importants débouchés pour les investisseurs institutionnels canadiens qui souhaitent acquérir des actifs.
- Dans les prochaines années, les établissements d’enseignement deviendront l’une des grandes cibles d’investissement à l’échelle des différents États. On parle des écoles primaires et secondaires, des universités, des collèges communautaires, des résidences sur le campus ainsi que de l’énergie et des autres besoins liés à l’enseignement. Dans les prochains mois, des milliards de dollars en consultations figureront sur les bulletins de vote dans plusieurs États américains, notamment au Michigan, en Indiana et au Texas.
- La valorisation énergétique des déchets offrira aussi d’importants débouchés, surtout que le Canada a au moins dix ans d’avance sur les États-Unis dans ce secteur. Nos voisins du Sud mettront l’accent sur les circuits fermés capables de transformer les déchets organiques des sites d’enfouissement en chauffage municipal et en biocarburants. On voit de multiples débouchés à l’étape de la planification au Connecticut, en Floride et dans l’État de Washington. C’est le moment pour les entreprises canadiennes de se positionner
Les entreprises canadiennes sont bien placées pour saisir ces occasions dans ces secteurs. « Les organismes du secteur public aux États-Unis préfèrent travailler avec des sociétés ayant une présence sur le territoire, explique Yousef Salama. Les entreprises canadiennes comprennent parfaitement bien les normes et les pratiques commerciales du marché états-unien et apportent des compétences spécialisées utiles. »
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Tout ce qu’il vous faut savoir pour étendre vos activités aux États-Unis en toute confiance.
Selon Yousef Salama, plusieurs facteurs sont indispensables pour réussir à entrer sur ce marché :
- Il est essentiel de très bien connaître votre client. « Lorsque j’ai commencé à travailler pour le secteur public états-unien par exemple, j’ai trouvé intimidantes l’immensité de l’écosystème et la complexité de l’environnement politique et socioéconomique; j’ai dû apprendre à naviguer dans ce contexte. Les entreprises canadiennes qui souhaitent percer ce marché doivent absolument comprendre comment fonctionne l’écosystème législatif, fiscal, réglementaire et politique si elles espèrent décrocher des contrats. »
- Vous devez tisser des liens avec des personnes qui travaillent dans votre organisme cible. Ce faisant, vous devez les convaincre que vous connaissez leur organisme et que vous avez les compétences requises pour accomplir le travail.
- Vous devez étudier cet organisme pour découvrir qui sont ceux qui prennent les décisions. Vous saurez ensuite à qui parler de vos projets.
- Au moment de répondre à un appel d’offres du gouvernement fédéral, sachez que vous devez respecter les exigences du programme Disadvantaged Business Enterprise (DBE). Les DBE, ou entreprises commerciales défavorisées, sont de petites entreprises à but lucratif détenues à au moins 51 % par des personnes défavorisées sur le plan économique et qui contrôlent la gestion et les activités quotidiennes. « Dès qu’il s’agit d’un projet financé par le gouvernement des États-Unis, il faut habituellement confier de 10 % à 25 % des travaux à des DBE, explique Yousef Salama. Vous devez savoir quels entrepreneurs et quels sous-traitants sont admissibles, sinon vous aurez de la difficulté à mettre sur pied une équipe compétente et à présenter une soumission raisonnablement attrayante. »
- Certaines administrations accordent autant d’importance que le gouvernement fédéral aux exigences relatives aux DBE même si le projet n’est pas financé par le fédéral. D’autres administrations ne se soucient pas trop des DBE, mais dans les grandes régions métropolitaines, il faut habituellement répondre à de telles exigences pour les projets étatiques ou locaux. En intégrant une DBE à votre soumission, vous mettez plus de chances de votre côté.
Et qu’en est-il du libellé réglementaire difficile qui entoure parfois les lois commerciales états-uniennes comme les dispositions de la politique Achetez américain? N’est-ce pas là un obstacle pour les entreprises canadiennes spécialisées dans la construction, les matériaux et les services qui souhaitent faire des affaires au sud de la frontière?
« Ces politiques ont plus de répercussions sur certains secteurs que d’autres. La plupart du temps, elles ne nuisent pas aux entreprises spécialisées dans la construction ou les services professionnels ni aux régimes de pension. Elles ont en revanche des répercussions sur les entreprises qui fournissent des matériaux, surtout l’acier, le fer et le bois d’œuvre. Les autorités états-uniennes comprennent toutefois qu’elles auront toujours besoin de partenaires étrangers de confiance pour fournir les ressources nécessaires à la modernisation de leurs infrastructures. Par conséquent, les entreprises canadiennes sont habituellement en mesure d’obtenir des exemptions aux règlements ou des dérogations, au besoin », fait valoir Yousef Salama.
Établir une présence sur le territoire est un bon moyen d’atténuer les risques réglementaires. Vous ferez disparaître bon nombre de ces problèmes si vous confiez le travail à l’une de vos filiales situées aux États-Unis; la création d’une telle filiale n’est pas compliquée.
La plupart du temps, ces filiales sont des sociétés par actions ou des sociétés à responsabilité limitée. Il s’agit d’une personne morale qui va du petit bureau à la grande usine de fabrication. Vous pourriez aussi former une filiale en acquérant une entreprise états-unienne (ou en fusionnant avec elle) ou en formant une coentreprise avec une entreprise états-unienne.
Les réglementations que doivent surveiller scrupuleusement les entreprises canadiennes sont celles entourant la transition énergétique. Le développement des lignes de transport a pris un énorme retard au cours des dernières décennies aux États-Unis à cause de la complexité du processus administratif de délivrance de permis.
À l’heure actuelle, il faut parfois jusqu’à dix ans avant de pouvoir mettre en œuvre un chantier de ligne de transport. Par conséquent, le nombre de projets en attente d’un branchement au réseau (les files d’attente d’interconnexion) n’a cessé de croître ces dix dernières années. En 2022, des projets représentant une capacité de plus de 1,2 térawatt (1 000 milliards de watts à l’heure) attendaient l’approbation pour pouvoir se connecter au réseau électrique, c’était plus que la capacité déjà existante sur le territoire à l’époque.
Une étude sur sept exploitants de réseau autonome indépendants et 35 entreprises de services publics pour lesquels des données étaient disponibles révèle que plus des trois quarts des demandes présentées avaient été retirées avant que le projet arrive l’étape de l’exploitation commerciale justement à cause des problèmes liés à la transmission.
En outre et malgré les victoires législatives comme l’IRA et la BIL, le gouvernement a pris dans la dernière année une foule de décisions qui nuisent à la transition énergétique. À titre d’exemple, une étude poussée menée par le département du Commerce sur les tarifs douaniers pour des modules solaires importés de différents pays de l’Asie du Sud-Est a causé des retards de chantiers partout au pays. Selon des prévisions d’avril 2022, si des tarifs douaniers devaient être imposés, la perte en capacité solaire de 2022 à 2025 équivaudrait à plus de 30 gigawatts. Parallèlement, un jugement de la Cour suprême en défaveur de l’organisme de réglementation de l’Environmental Protection Agency (EPA) dans la cause West Virginia contre l’EPA pourrait miner les efforts de réduction des émissions dans les prochaines années.
« Le grand nombre de chantiers mis en œuvre aux États-Unis va continuer de représenter un défi pour le marché de l’emploi; les entreprises canadiennes pourraient donc profiter d’une excellente occasion de combler ce manque tout en offrant des compétences complémentaires. Mais il faut aussi qu’elles se mêlent à l’environnement législatif et réglementaire, plus particulièrement à l’échelle des différents États pour évaluer leurs chances d’obtenir des contrats ou pour éviter les interruptions inhérentes au développement des infrastructures aux États-Unis. »
- Soyez bien informés sur les programmes d’immobilisations que les organismes entendent mettre en œuvre dans les dix prochaines années; les organismes de planification métropolitaine sont une source de données inestimable sur les projets de transport à long terme dans les grandes régions métropolitaines des États-Unis.
- Apprenez au moins un an à l’avance quels seront les débouchés, sinon vos concurrents locaux vous devanceront.
- Connaissez bien votre client et les détails politiques et socioéconomiques de son espace de travail. Ces renseignements pourraient vous aider à préparer une soumission gagnante.
- Recherchez les occasions de partenariat avec des entreprises locales et des DBE. Envisagez d’établir une présence sur le territoire.
- Restez au fait de ce qui se passe dans l’environnement législatif et réglementaire, surveillez les actes législatifs; vous pourriez ainsi prendre une longueur d’avance.
- Assurez-vous de comprendre les règles fiscales, les règlements douaniers et les lois du travail des États-Unis.
- Collaborez avec EDC pour trouver :
- des renseignements sur le pays et le marché
- des outils de gestion des risques
- des connaissances
- des solutions de financement et fonds de roulement
- le Centre aide-export et des conseils pour percer le marché
- des contacts aux États-Unis et avec des entreprises internationales
Vous pouvez communiquer avec Yousef Salama ici.