Il y a maintenant 15 mois que la Russie a lancé son invasion massive, injustifiée et injustifiable de l’Ukraine. Cette « opération spéciale » continue de semer la mort et la destruction, et ses implications au-delà des frontières du pays sont franchement inquiétantes.
Pour la première fois depuis les années 1980, la Russie et l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) se trouvent dans une situation comportant un risque accru de confrontation potentielle posant des risques existentiels étant donné l’arsenal nucléaire dont dispose chacune des deux parties. Ce conflit a provoqué le déplacement de plus de 15 millions d’Ukrainiens; il aurait fait plus de 130 000 victimes ukrainiennes (civils et militaires) et jusqu’à 250 000 victimes du côté des soldats russes (blessés ou tués).
Outre la tragédie humaine, cette invasion a déclenché une réaction en chaîne : elle a mis l’économie ukrainienne à genoux et perturbé les échanges commerciaux à l’échelle du globe, ce qui a fait flamber les cours des matières premières et nuit à la prospérité et aux relations internationales. Depuis qu’ils se sont ouverts à l’Occident, les pays de l’Europe de l’Est et de l’ex-Union soviétique ont connu des périodes de stabilité et de croissance économique rapide. Les nouvelles voies commerciales avec l’Occident ont créé les conditions pour l’augmentation du revenu et de la richesse dans la région. Mais cette guerre entre deux importants pays de l’Europe de l’Est – inédite depuis la Seconde Guerre mondiale – a mis un frein à ces progrès.
Les répercussions mondiales de la guerre
Avant la guerre, les exportations d’énergie, de minéraux, d’engrais et de denrées alimentaires de ces deux pays étaient essentielles pour répondre à la demande mondiale. Or, ce conflit a accentué la fragilité de l’économie mondiale en gênant la libre circulation des marchandises. Ce ralentissement, conjugué aux sanctions et aux restrictions commerciales imposées par l’Occident à la Russie, a stoppé l’utilisation du corridor énergétique naturel entre l’Est et l’Ouest. Parallèlement, les agriculteurs ukrainiens ne peuvent labourer leurs champs ni récolter leurs produits sans craindre pour leur sécurité; par ailleurs, il leur est souvent impossible d’acheminer des marchandises vers les ports et les routes d’expédition, ce qui réduit les volumes de marchandises qui atteignent les marchés internationaux.
Depuis le déclenchement de la guerre, l’inflation – à l’instar du coût de la nourriture et de l’énergie – a bondi – partout dans le monde, mais surtout en Europe – à des sommets jamais vus depuis des générations. Selon l’Agence internationale de l’énergie, avant la guerre, 35 % des importations de pétrole brut et 40 % des importations de gaz naturel de l’Union européenne (UE) provenaient de la Russie. Ces échanges commerciaux avec l’EU ont pratiquement cessé, ce qui fait dire à certains observateurs que la guerre entraîne un effritement des liens entre les divers acteurs mondiaux.
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S’adapter à une nouvelle donne
Mais l’ère de la mondialisation n’est pas pour autant révolue. Les importateurs et les exportateurs ouvrent de nouvelles voies commerciales pour réduire les risques associés aux chaînes d’approvisionnement. Les États-Unis et d’autres producteurs d’énergie se sont mobilisés pour combler la majorité des besoins énergétiques de l’UE, alors que la Russie a trouvé de nouveaux marchés en Asie pour son pétrole brut et son gaz naturel. L’UE, et c’est tout à son honneur, a accéléré le rythme de sa transition énergétique. Les tensions sur les cours énergétiques qui s’exerçaient sur tous les pays de la planète se sont donc relâchées : des volumes suffisants de ressources énergétiques parviennent désormais à gagner les marchés, bien qu’il s’agisse de nouveaux marchés.
Bien entendu, les nouvelles voies commerciales ne sont pas la solution à tous les problèmes. L’Ukraine, en particulier, a de la difficulté à exporter ses produits agricoles en raison du bombardement de ses champs, de la destruction de ses infrastructures de transport et des blocus navals. Avant la guerre, l’Ukraine était à bien des égards un exportateur de premier plan :
- le plus grand producteur d’huile de tournesol au monde (28 %);
- le cinquième producteur de maïs;
- le cinquième exportateur de blé;
- le sixième producteur de miel;
- le huitième producteur de céréales.
Or, la guerre a perturbé la production et le commerce, provoquant ainsi un choc de l’offre régionale et mondiale de denrées alimentaires. La Russie est elle aussi un important producteur agricole, mais heureusement, ses produits atteignent encore la plupart de ses marchés d’exportation. Toutefois, la Russie et la Biélorussie produisent ensemble environ la moitié de l’engrais potassique utilisé dans le monde et, à terme, la diminution de ces exportations pourrait compliquer l’approvisionnement mondial en produits agricoles.
Le 24 février 2022, aux premiers jours de l’invasion, la plupart des analystes croyaient que la Russie écraserait l’Ukraine et prendrait le plein contrôle du pays en quelques semaines à peine, voire en quelques jours. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. L’armée ukrainienne s’est montrée résiliente et tout à fait capable de repousser l’attaque; elle est maintenant sur le point de lancer une offensive pour reprendre le territoire qu’elle a perdu.
Ne pas sous-estimer celui qui est donné perdant
Dans un récent sondage mené en Ukraine, 97 % des répondants disaient penser que leur pays allait gagner la guerre et 75 % disaient croire que les troupes ukrainiennes allaient rétablir toutes les frontières du pays reconnues internationalement. Il est bien sûr impossible de prévoir l’issue d’une guerre, vu les multiples actions et réactions possibles des deux belligérants de même que l’impact des conditions météo sur les opérations militaires. Les combats devraient se poursuivre à court terme, mais même si l’Ukraine arrive à rétablir son intégrité territoriale, elle aura besoin de beaucoup d’aide une fois la guerre terminée.
Les coûts économiques et financiers de la reconstruction seront considérables. La Banque mondiale a récemment annoncé que les pertes en infrastructure avoisinaient les 411 milliards de dollars américains, et ces chiffres ne tiennent pas compte de la perte en production économique. Selon les derniers calculs du Fonds monétaire international (FMI), le produit intérieur brut (PIB) de l’Ukraine a reculé de 30 % en valeur constante en 2022, et il y a lieu de croire qu’il reculera encore de 3 % en 2023. Et n’oublions pas qu’après une guerre, il y a toujours des munitions non explosées à extraire du sol et à éliminer. Si la guerre perdure et si l’on tient compte de tous ces facteurs, on peut facilement imaginer qu’il en coûtera 1 000 milliards de dollars américains pour remettre les infrastructures dans l’état où elles étaient et qu’il faudra des années pour régler la note.
Principales conclusions
Il y a différentes leçons à tirer de ce conflit. Tout d’abord, la guerre a nui à la libre circulation des marchandises et des services et, ce faisant, à perturber l’approvisionnement et provoquer l’envolée des cours. Il a été possible de trouver des solutions à la plupart des problèmes liés au complexe énergétique, mais les produits agricoles sont plus gravement touchés en raison du lieu et de la nature du conflit.
Et puis la croissance économique de l’Ukraine a été mise à mal, ce qui a eu des effets sur les économies régionales et même ailleurs. Réparer les dommages infligés aux infrastructures du pays et aux biens personnels sera coûteux et prendra des années; à cela s’ajoute la perte en production économique qui pourrait être impossible à regagner. Les relations entre l’Occident et la Russie ont été ramenées des années en arrière, pour ne pas dire des décennies. Mais surtout, on ne pourra jamais remplacer toutes les vies perdues.
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Richard Schuster a une longue expérience en tant qu’économiste principal et spécialiste de l’Ukraine et d’autres marchés de l’Europe de l’Est et de l’Asie centrale à EDC.