Une planète qui gravite autour de deux soleils – comme le monde de Tatooine d’où est originaire Luke Skywalker, le protagoniste de La Guerre des étoiles – relève de la pure fiction. Du moins, on le pensait jusqu’en 2011… lorsque le satellite Kepler de la NASA nous a fait découvrir Kepler 16-b, une véritable planète circumbinaire. Depuis ce monde glacial et lointain, nous pourrions admirer chaque jour deux levers du soleil. Pendant la majeure partie de son histoire moderne, le commerce extérieur du Canada a gravité autour d’une seule étoile – les États-Unis. Mais cela est en train de changer : une nouvelle étoile apparaît et cherche à se placer sur notre orbite. S’adapter à cette nouvelle réalité nécessitera une transformation radicale, mais nécessaire. Pourrons-nous mener à bien cette tâche?
Cette nouvelle étoile, nous la connaissons. La mondialisation et les technologies de l’information assurent désormais la viabilité du commerce avec toutes les régions du globe. Résultat : des marchés longtemps en marge du flux habituel des échanges commerciaux ont vu s’accélérer leurs activités; ainsi, de grands marchés comme la Chine, l’Inde et le Brésil sont devenus des puissances mondiales en un temps record. D’autres en sont aussi de grands bénéficiaires.
Leur ascension rapide a fait grimper leur revenu par habitant. Dans ces pays, des dizaines de millions de consommateurs joignent les rangs de la classe moyenne chaque année. Chez ces citoyens mieux nantis, on observe une évolution des goûts et des préférences vers des biens et des services de qualité supérieure. En fait, cette évolution est si rapide que ces marchés émergents n’ont pas la capacité de répondre à la demande de la part de leurs consommateurs, ce qui alimente un intérêt croissant – et une dépendance grandissante – envers les importations.
Les nations développées le savent depuis longtemps et s’emploient à en tirer parti. Elles n’ont pas été déçues des résultats : les efforts sur ces marchés méconnus et plus risqués ont énormément porté fruit et continueront d’être porteurs pendant encore un bon moment. En effet, les prévisions à long terme montrent que dans la plupart de ces économies émergentes, il y a un fort potentiel de croissance s’étendant sur plusieurs décennies.
Le Canada a bénéficié de cette mégatendance. La Chine, durant un intervalle plutôt court, a été catapultée au rang de deuxième destination de nos exportations et, au passage, a éclipsé avec une certaine facilité chacun de nos marchés traditionnels du continent européen. L’Inde suit la même trajectoire, et se classe au neuvième rang du classement pour nos exportations de marchandises. Il semble bien qu’un changement d’orbite soit en voie de s’opérer, mais ce changement se fait assez lentement; en réalité, nos exportations vers les marchés émergents se concentrent dans une poignée de secteurs. De plus, la Chine représente à peine 5 % de nos exportations, et ce taux n’atteint même pas 1 % dans le cas de l’Inde. À l’échelle des planètes, ce type de changement est à peine perceptible.
D’autres ont saisi la balle au bond. Ainsi, en pourcentage, les expéditions de l’Union européenne vers la Chine représentent le double de la part des exportations du Canada vers ce marché. Quant à l’Australie, après avoir revu sa politique commerciale il y a plusieurs décennies, plus de 30 % de ses exportations prennent la direction de la Chine; l’Australie augmente aussi considérablement ses exportations vers l’Inde et d’autres régions d’Asie. La Nouvelle-Zélande a emboîté le pas puisqu’elle expédie 23 % de ses exportations vers le marché chinois. Malgré une importante base industrielle, le secteur de l’exportation canadien accuse un retard par rapport à ces deux économies.
La réticence du Canada tient à plusieurs raisons. La première invoquée : la distance, même si plusieurs nations tout aussi éloignées ont trouvé le moyen de surmonter cet obstacle. Autre raison citée : le risque de faire affaire sur un marché moins connu. Et d’autres motifs s’ajoutent à la liste. Il est intéressant de noter que d’autres pays font face aux mêmes risques que le Canada dans ces régions. Or, ces pays ont trouvé des moyens suffisamment efficaces d’atténuer ces risques pour s’y implanter et y décrocher des contrats lucratifs. Les entreprises canadiennes qui ont suivi cette voie prospèrent aussi sur ces marchés.
Un sujet est moins souvent au cœur des discussions : celui du risque d’être absent de ces marchés émergents en rapide croissance. Pour les entreprises en quête d’efficacité, les économies d’échelle jouent plus que jamais un rôle primordial. Or, les compagnies exerçant leurs activités à petite échelle ont plus de difficulté à rivaliser à l’international. Pour intensifier leurs activités, elles doivent impérativement mettre le cap sur les économies émergentes. Se placer dans l’orbite de ces marchés n’est plus simplement souhaitable; c’est devenu un passage obligé.
Conclusion?
Les orbites – tout comme les tendances du commerce – sont connues, prévisibles, régulières et ont quelque chose de rassurant. Lorsqu’elles sont perturbées, nous voilà en présence d’un monde chaotique et déphasé – un monde qui nous oblige à sortir de notre zone de confort et qui n'offre aucune garantie. Pourtant, si cette nouvelle orbite fait partie de notre nouvelle réalité, vouloir y échapper pourrait entraîner des conséquences encore plus désastreuses – dont celle ne pas découvrir de nouveaux mondes recélant une multitude d’activités et d’opportunités. Le passage vers un commerce circumbinaire est inévitable; d’ailleurs, il est déjà en cours. Le temps est venu d’accepter cette réalité.