Dans mon Propos du 17 mars, je vous ai parlé de l’inflation et du défi actuel des banques centrales : soit de maîtriser l’inflation et de maintenir la stabilité des marchés des capitaux. Ces jours-ci, pourtant, l’inflation grimpe notamment en raison des déséquilibres sur le marché de l’emploi observés dans plusieurs pays.
Les conditions d’emploi serrées obligent les entreprises à monter la barre afin d’attirer les talents nécessaires pour répondre à la demande grandissante des clients, ce qui accentue les tensions sur les salaires et les avantages à offrir. Mais où sont donc passés les travailleurs? Et que nous dit cette pénurie apparente à propos de la dynamique future du marché de l’emploi?
Au Canada, l’emploi a continué de dépasser les niveaux d’avant la pandémie en février. Le chômage a chuté sous le taux de février 2020, et s’est maintenu à 5,5 %, son niveau le plus bas en 31 mois. Les taux d’activité de la main-d’œuvre, pour leur part, ont tourné autour des taux d’avant la pandémie.
Les données révèlent un changement dans la composition des personnes prêtes à travailler. Au Canada, depuis février 2020, le taux d’emploi a progressé de 0,3 point de pourcentage (p.p.) chez les 15 à 24 ans, et de 1,7 p.p. chez les 25 à 54 ans. Cependant, ce taux a chuté de 4,2 p.p chez les 55 ans et plus. Dans ce groupe, on note un léger repli de 0,5 p.p. chez les 55 à 64 ans, mais un net recul de 4,9 p.p. chez les 65 ans et plus.
Ces données suggèrent que la pandémie continue de laisser sa marque sur le marché canadien de l’emploi, notamment en excluant les Canadiens plus âgés. Ce groupe, qui compte parmi les plus vaccinés à l’échelle provinciale, demeure réticent à retourner au travail.
Grâce à la montée du prix des actifs, alimentée par l’abondance des liquidités depuis la fin de la crise financière mondiale et surtout ces deux dernières années, plusieurs de ces travailleurs ont bénéficié d’un effet de richesse qui a beaucoup amélioré leur situation et diminué le besoin d’un retour sur le marché du travail.
Une dynamique semblable (et quelques autres aussi) est présente sur le marché de l’emploi américain, ce qui amplifie les tensions. Selon la Réserve fédérale de Saint-Louis, en octobre 2021, le nombre de retraités avait augmenté de 3,3 millions par rapport à janvier 2020, soit une hausse inhabituelle d’environ 7 % surtout attribuable au nombre de départs à la retraite dans le groupe des plus de 65 ans, celui des 55 à 64 ans étant resté plutôt stable.
Pour la Fed de Saint-Louis, cela s’explique principalement par les préoccupations liées à la santé lors de la pandémie et les effets sur la richesse. La Fed constate que la valeur nette moyenne, corrigée de l’inflation et de la croissance démographique, a bondi de 12 % et 15 %, respectivement, dans les ménages où le chef de famille est âgé de 55 à 69 ans, et de 70 ans et plus. Le fait que la plupart des régimes de pension américains soient privés donne une plus grande flexibilité en matière de retraite, ce qui a sans doute augmenté le taux des départs à la retraite après la pandémie.
Selon d’autres enquêtes, aux États-Unis, les ménages auraient de plus en plus d’inquiétudes dans le domaine de la santé, notamment parce qu’ils estimeraient que le système de santé et les programmes sociaux destinés aux enfants ne sont pas assez généreux. Ce faisant, le nombre d’Américains déclarant ne pas vouloir travailler a bondi de près de quatre millions durant la pandémie; fait à noter, le groupe des 55 ans et plus a contribué à plus de 60 % de cette augmentation.
Les États-Unis sont aussi confrontés à l’impact de règles d’immigration plus strictes et d’un déclin plus rapide de l’immigration causé par la COVID-19. D’après une étude de l’Université Tufts, de 2020 à 2021, les États-Unis auraient délivré 45 % et 54 % moins de visas d’immigrant et de non-immigrant, respectivement. Les auteurs de l’étude observent qu’à la fin de 2021, le nombre de travailleurs nés à l’étranger était toujours inférieur aux niveaux de 2019 et de deux millions sous le niveau atteint si la tendance de 2010 à 2019 s’était maintenue.
Par ailleurs, la réponse américaine à la pandémie a été davantage axée sur l’assurance chômage que sur les programmes liés au chômage partiel. Ce choix en matière d’action gouvernementale a eu pour effet de diminuer le lien avec l’emploi. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les programmes liés au chômage partiel – comme les aides gouvernementales pour maintenir les salaires des travailleurs – ont ciblé environ 25 % de la main-d’œuvre au Canada. Ces programmes canadiens sont restés en place plus longtemps et ont été plus substantiels que leur équivalent américain, le Paycheck Protection Program.
Conclusion?
Depuis deux ans, la crise de la COVID-19 a accéléré le départ de nombreux travailleurs plus âgés du marché de l’emploi – d’une manière plus marquée que durant une reprise économique typique. Voilà qui limite la capacité des entreprises à répondre à la demande croissante de leurs clients, alors même que les restrictions sont peu à peu levées et que les consommateurs normalisent leurs habitudes d’achat. Dans ce contexte, les banques centrales surveilleront de près l’incidence des tensions sur les salaires sur l’inflation globale.
Les décideurs auront sans doute un avant-goût des défis à venir. De nombreuses économies développées – et même en développement – commencent à ressentir les effets d’une population qui vieillit rapidement. Pour s’y préparer, les entreprises et les gouvernements devront trouver des solutions novatrices avant qu’il ne soit trop tard.
Nous adressons des remerciements particuliers à Ross Prusakowski, directeur du Centre d’information économique et politique d’EDC, pour sa contribution à cette édition du Propos.
Les Services économiques d’EDC vous invitent à leur faire part de vos commentaires. Si vous avez des idées de sujets à nous proposer, n’hésitez pas à nous les communiquer et nous ferons de notre mieux pour les traiter dans une édition future du Propos.