Comment évoluera la croissance dans l’après-COVID-19? On vous pardonnera de ne pas choisir une réponse facile à cette question. Après tout, les prévisionnistes n’ont pas formulé de réponse claire lors de la période qui a suivi la crise financière mondiale. Et l’incertitude est encore plus grande dans le contexte actuel. Alors, cela vaut-il la peine de tenter de déterminer la forme que prendra la croissance économique au cours des prochains mois et des prochaines années?
Oui, car c’est là une information capitale. Dans l’histoire, on ne trouve pratiquement aucune situation comparable à celle que nous vivons. Il y a déjà eu des pandémies, mais c’est la première fois que le monde y réagit de cette façon. Pour établir des perspectives, nous regroupons des éléments essentiels de la conjoncture et les combinons aux mécanismes automatiques de l’économie que nous connaissons.
Voici ce que ça donne : au début de la pandémie, il y avait une forte demande comprimée dans l’économie (voir le Propos de la semaine du 3 septembre), ce qui initialement a permis un net rebond. Ce bel élan devrait s’essouffler puisque la seconde vague d’infections, qui déferle déjà dans la plupart des régions du monde, modère notre enthousiasme de départ. À terme, nous devrons assumer le coût de toutes les mesures de relance déployées – qui se trouvent à hypothéquer la croissance future pour une croissance immédiate. Cette trajectoire de croissance ressemble à un crochet : une croissance au départ rapide qui, à la fin, ralentit la cadence.
On voit déjà que cet exercice n’est pas simple. Il est vital de connaître la forme des perspectives générales de la croissance. D’ores et déjà, les perspectives nous disent qu’il y aura beaucoup de gagnants et de perdants, ce qui ne manque pas de compliquer la réponse à cette situation. Prenons, par exemple, les secteurs. Pour certains secteurs, notamment ceux liés au tourisme, l’année 2020 est une année à oublier. Les sous-secteurs de l’hôtellerie, de la restauration, des arts, du divertissement, du transport et de l’aéronautique battent tous de l’aile. Le plongeon des cours pétroliers et gaziers n’a pas facilité les choses pour un secteur déjà aux prises avec des difficultés structurelles.
Dans le même temps, d’autres secteurs ont le vent dans les voiles. La ruée des consommateurs désireux de faire des provisions a donné lieu à un boum mondial dans l’agroalimentaire. Chez les détaillants, les résultats sont mitigés, mais l’activité du côté de ventes en ligne et des réseaux de soutien logistiques est très dynamique, tout comme la progression de leurs actions sur les marchés boursiers. La demande adressée aux segments des télécoms ainsi qu’au soutien et aux solutions techniques est très vive grâce à la révolution qui s’opère en faveur du travail à distance.
Cette trajectoire de croissance divergente est évidente à l’échelle des secteurs, mais aussi des pays. Ceux qui sont tributaires du tourisme et de l’énergie ont perdu leur principale source de recettes en devises. Les nations particulièrement dépendantes des échanges commerciaux se sont retrouvées dans une situation semblable. Et les nations endettées au début de la pandémie risquent sans doute de voir leur notation abaissée. Par contre, les nations où la technologie est omniprésente et qui sont dotées d’une solide infrastructure de soutien pourront mieux s’adapter aux nouvelles façons de faire – et aider les autres nations à faire de même.
Les divergences s’expriment aussi sur d’autres fronts. Ainsi, l’âge est un facteur. Les jeunes et les personnes ayant moins d’expérience trouveront sans doute difficile de décrocher un emploi dans un marché soudainement rigide, alors même qu’ils s’efforcent de rembourser un prêt étudiant, de payer des coûts plus élevés pour se loger et de s’acquitter d’autres obligations. Les tranches plus âgées de la population constatent que la pandémie les expose à un risque majeur et limite leurs activités.
Le revenu constitue un autre facteur. Des millions de travailleurs ont été mis à pied et dépendent des fonds d’aide qui leur sont offerts. Face à un avenir incertain, ils tentent de tenir le coup, aussi longtemps que possible. Parallèlement, les travailleurs qui touchent toujours un chèque de paie ont moins d’options pour dépenser et voient par conséquent leurs économies grandir. Voilà un portrait pour le moins contrasté.
Le tableau qui émerge, c’est celui d’une économie divergente en quête de convergence. La polarisation dans les sphères politique et économique n’est pas nouvelle : elle était présente à l’échelle de la planète avant la pandémie. Cependant, le contexte actuel semble l’accentuer.
Conclusion?
Les perspectives générales de la croissance en forme de « crochet » semblent, en apparence, gérables. Au Canada, les secteurs comme le commerce de détail et le commerce international suivront une trajectoire en forme de V, ce qui nourrit l’espoir que le reste de l’économie pourrait bientôt emboîter le pas. Mais, au-delà de la surface, le tableau est radicalement différent : deux économies se côtoient, l’une très dynamique et l’autre atone, avec une troisième qui oscille entre les extrêmes. Sous la surface, on discerne les signes d’une trajectoire de croissance en forme de K – ce qui appellera une réponse stratégique, inhabituelle et novatrice.