Le changement est un élément incontournable des prévisions à court terme, et cela n’a jamais été aussi évident qu’aujourd’hui. Aucun économiste n’a vu – ni même étudié – une crise comme celle de la COVID-19 et le type de réponse à cet événement inédit. Nous apprenons donc tous au fil de la crise. De la même façon, même si on peut en douter, les principes fondamentaux économiques sont toujours à l’œuvre. Que nous disent-ils au sujet des perspectives à court terme de l’économie mondiale?
Avant toute chose, soyons bien clairs : les données liées à la pandémie occupent une place centrale. Pour le moment, elles font figure d’indicateur avancé de l’activité, et incontestablement de la croissance à court terme. Pourquoi? Parce que ces données ont déclenché le confinement mondial initial, eu des effets dévastateurs sur la production et entraîné la prise de mesures de relance monétaire et budgétaire sans précédent à l’échelle de la planète. La diminution du nombre d’infections a permis un retour progressif au travail et une augmentation de la production. Désormais, la grande question est de savoir quelle sera l’ampleur de la seconde vague d’infections et du confinement – partiel ou total – qui sera nécessaire pour la contenir.
Un autre facteur prépondérant influe sur les prévisions, soit la tenue de l’économie avant la crise : comme l’économie se portait-elle avant de se retrouver dans cette situation difficile? Contrairement à ce qui s’était produit lors de la crise financière mondiale, nous ne sommes pas entrés dans cette période de repli avec une offre abondante générée par les excès du cycle. En fait, c’était plutôt l’inverse. Il y avait encore beaucoup de place pour la croissance après une décennie de croissance inférieure à la normale. D’ailleurs, on trouvait de multiples preuves d’une demande comprimée à l’ensemble des pays membres de l’OCDE. À vrai dire, la pandémie a créé les conditions qui ont accentué les tensions sur cette demande latente, et ce, alors même que les acteurs économiques font preuve de prudence et que les restrictions sur les options de dépenses leur permettent d’assainir leurs finances et d’accroître leurs épargnes. Ces éléments permettent de croire que l’économie est fondamentalement résiliente et qu’elle possède, à tout le moins, la capacité de rebondir et de sortir du fâcheux épisode que nous traversons.
Cette capacité potentielle compte parmi les éléments sous-tendant notre troisième facteur : la robuste remontée des principaux indicateurs. Dans le secteur du commerce de détail aux États-Unis, dans l’Union européenne et au Canada, entre autres, les ventes se sont hissées aux niveaux d’avant la crise. Les données pour le secteur de l’exportation suivent la même tendance; au Canada, en juillet, elles ont atteint le seuil des 94 %. Les marchés boursiers, un indicateur avancé clé, sont euphoriques; d’ailleurs, les cours des principales matières premières font mieux qu’initialement prévu. Alimentée par ces sources de croissance, la production totale dans les divers secteurs de l’économie semble avoir regagné un peu plus de la moitié du terrain perdu. Voilà tout un exploit, mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.
Nous en savons maintenant plus sur les facteurs en cause. Qu’en est-il de la pandémie? Certains pays ont décrété un retour au confinement total. D’autres tentent d’isoler les zones problématiques ou d’imposer des confinements à l’échelle régionale. Dans plusieurs pays, ces mesures provoquent mécontentement et agitation. Tout bien considéré, l’embellie initiale semble laisser place à une trajectoire modérée et acceptable de la croissance de l’économie mondiale.
Dans son édition de l’automne des Perspectives économiques mondiales, les Services économiques d’EDC révèlent que la croissance tonique actuelle permettra à l’économie mondiale de gagner 6,6 % en 2021. C’est là une perspective difficile à envisager pour tous ceux qui tentent toujours de se relever du déclin de 4,3 % de l’activité mondiale, un retournement de situation impensable par rapport à la croissance modérée de 2,9 % enregistré en 2019. Les perspectives pour l’an prochain sont loin d’être fantaisistes. Selon les calculs, même une croissance de 6,6 % ne suffira pas à nous ramener aux niveaux d’activité avant la pandémie.
Cette situation dissimule cependant un tableau plus désordonné. Bon nombre de pays ont subi des rajustements majeurs à leurs perspectives à court terme qui sont occultés parce qu’ils se sont mutuellement annulés. De plus, une analyse des données sommaires révèle clairement que tous les secteurs ne surferont pas sur la vague de la croissance. À ce stade-ci, il est clair que la performance des secteurs des aliments, des technologies de pointe, des télécoms, des produits du bois et des mines éclipsera pendant encore un bon moment celle des secteurs pétrogazier, aéronautique et toutes industries liées au tourisme pour des raisons professionnelles ou d’agrément. Il en va de même pour les pays et les personnes dont les activités sont en lien avec ces secteurs.
Par ailleurs, l’ampleur des stocks et la trajectoire incertaine de la croissance limiteront la progression du cours des principaux produits de base dans un horizon à court terme. Et les taux d’intérêt très bas risquent de le rester pendant très longtemps. Les devises seront soumises à la même volatilité localisée, mais elles devraient afficher de modestes mouvements à moyen terme. Ainsi, face au billet vert, le dollar canadien devrait s’échanger dans la fourchette des 74 à 76 cents cette année et l’an prochain.
Conclusion?
Nous sommes bien loin de la fin de cette pandémie – et ses conséquences dramatiques sont toujours ressenties, même si le rebond initial de la croissance a soulevé l’optimisme. Pourtant, il faut s’attendre à ce que l’embellie soit passagère. La modération de l’élan de la croissance met déjà notre détermination à l’épreuve et l’incertitude plane sur notre capacité à contenir d’autres vagues d’infection. La rentrée scolaire dans l’hémisphère Nord sera un test déterminant pour le système, et nous en suivrons de près tous les développements. Pour l’heure, nous trouvons un certain réconfort dans la résilience de l’économie, les imposants programmes de relance et les dépenses induites par la demande comprimée. Si les mesures pour limiter la pandémie sont efficaces, l’économie disposera des principales sources pour faire tourner l’activité.