Les annonciateurs d’une récession ont une raison de célébrer. La courbe des rendements – essentiellement la différence entre les taux d’intérêt à long terme et à court terme – est un indicateur éprouvé de tout repli à venir de l’activité économique. Pour beaucoup d’analystes, cet indicateur nous indique à tout le moins qu’un ralentissement mondial est en train de s’opérer. Pourtant, d’autres indicateurs avancés dignes de confiance, comme l'indice du cours du cuivre et les indices boursiers, ont fait fausse route ces dernières années. La courbe des rendements est-elle dans le même bateau? Sa capacité prédictive est-elle intacte?
Pour le savoir, il faut dans un premier temps retracer le chemin parcouru. La performance moins vigoureuse de l’économie a poussé la Réserve fédérale (la Fed) à faire volte-face, et les propos tenus par les banques centrales du globe, notamment à la conférence Jackson Hole, ont remis l’assouplissement monétaire à l’ordre du jour. Jerome Powell, le président de la Fed, et d’autres dirigeants de grandes banques centrales affirment qu’il ne s’agit pas d’un cycle d’assouplissement; malgré tout, les marchés s’attendent à d’autres baisses des taux et d’autres mesures d’assouplissement. Résultat : les places boursières traversent une zone de turbulence et l’activité du marché obligataire s'est raffermie. Les chiffres nous révèlent que l’Allemagne et le Royaume-Uni flirtent dangereusement avec la récession. À cela s’ajoute les spéculations voulant qu’un essoufflement de l’élan à l’échelle mondiale alimente la reprise du côté du marché obligataire, ce qui affaiblit les taux à long terme et conforte l’inversion de la courbe des rendements.
Dans un deuxième temps, il est essentiel de reconnaître la rapidité et l’ampleur du changement. Il y a quelques semaines à peine, la Fed était en mode resserrement, et les préoccupations économiques se concentraient sur les conditions serrées du marché du travail, les contraintes touchant les capacités de production et la possibilité d’une inflation à court terme. Les États-Unis et le Canada ont relevé leurs taux, tandis que la Banque centrale européenne (BCE) est restée sur la touche. Le cours des obligations a reculé, et il s’est produit une réévaluation générale des risques sur les marchés développés et émergents. On ne peut qu’imaginer tous les efforts déployés par les grands portefeuilles souverains de la planète pour s’adapter à ces bouleversements.
Aujourd’hui, les gestionnaires de portefeuille doivent à nouveau composer avec un changement rapide d’orientation de politique. L’instabilité sur les marchés boursiers et la diminution des rendements obligataires compliquent leur travail, et c’est peu dire. Dans leur volonté de maximiser les rendements globaux, ils sont confrontés à un difficile dilemme : investir dans des actifs plus risqués offrant un rendement supérieur, dans un contexte où la dégradation du climat commercial mondial aggrave des risques déjà importants. Une montée inexorable du risque de portefeuille, voilà la réalité à laquelle pourraient être confrontés des fonds de premier plan.
Et puis il y a un autre problème : un segment de plus en plus important des valeurs mobilières se trouve dans une zone de rendement négatif, tout particulièrement en Europe occidentale. Pourquoi? Parce qu’il n’y a pas si longtemps, les rendements avoisinaient zéro, ce qui voulait dire qu’une inversion de la courbe annonçait des rendements négatifs sur une période prolongée. Voilà le genre d’investissements que les gestionnaires de portefeuille veulent éviter. Et ce changement n’est pas anodin puisque sa valeur s’élève à 16 000 milliards de dollars américains.
Dans ce contexte, le nombre d’instruments accessibles aux grands gestionnaires de fonds se trouve réduit, ce qui les oblige à évoluer sur un marché plus limité. Le marché américain présente de faibles risques et s’impose donc logiquement comme la première destination – et pour certains, l’unique destination. La nécessité de rééquilibrer les portefeuilles exerce sans doute de fortes pressions à la baisse sur les rendements américains, et ce, malgré la solidité des fondamentaux de l’économie américaine. Ainsi, dans les conditions actuelles, il n’est pas facile pour le marché américain d’échapper à cette tendance.
En tenant seulement compte de la dynamique actuelle, on pourrait croire que la situation ne fera que se détériorer. Devrions-nous nous préparer à cette éventualité? Pas nécessairement. Souvenons-nous de l’élément qui a déclenché cette situation : l’économie a ralenti la cadence non pas en raison de fondamentaux moins robustes, mais de frictions sur la scène du commerce international, de l’imposition de droits de douane et du bras de fer qui a suivi.
Une résolution de ce dossier permettrait un retour à la normale : les investissements mis en veilleuse pourraient désormais être réalisés, ce qui générerait une croissance plus forte que prévu. De ce fait, les banques centrales pourraient bien, au moment voulu, se remettre à resserrer les taux. Ce scénario peut sembler improbable, mais il correspond précisément à la situation qui prédominait il y a quelques mois.
Conclusion?
L’incertitude touchant l’économie a maintenant gagné les marchés financiers. Si les liquidités venaient à être perturbées, les fonds souverains pourraient en faire les frais, ce qui accentuerait le ralentissement actuel. Voilà une autre excellente raison de dénouer l’impasse dans laquelle se trouve le commerce international.