Où en sommes-nous?
On ne vous en voudra pas de ne pas être au courant. La date butoir du 29 mars pour le Brexit a été franchie il y a quelques semaines à peine. Pourtant, on a l’impression que des mois se sont écoulés. Depuis, non pas un mais deux reports ont été annoncés. On trouve le temps long quand il n’y a rien à célébrer, et dans le cas du dossier du Brexit, on peut dire que personne n’a le cœur à la fête.
Récapitulons :
- La nouvelle date butoir est le 31 octobre.
- Le Royaume-Uni peut devancer sa sortie si ses députés s’entendent sur les modalités.
- Le Royaume-Uni doit maintenant participer aux élections du Parlement européen, le 23 mai, sans quoi il sera forcé de quitter l’Union européenne (UE) le 1er juin sans accord.
Prédire l’imprévisible
Le mois dernier, dans un rare élan de solidarité, les parlementaires ont rejeté la possibilité d’une sortie sans accord. Rappelons qu’une sortie sans plan est toujours possible. En somme, cette aventure ne peut se terminer que de trois façons, mais quant à savoir laquelle, les paris sont ouverts. Pourquoi? N’oublions pas que le chemin est parsemé d’embûches, et notamment d'une élection. Si c’était le cas, le cours des choses pourrait changer du tout au tout. Même si la logique veut que certaines possibilités soient plus probables que d’autres, les décisions des députés ne sont pas toujours cohérentes. Et pour couronner le tout, les décisions et les événements hors du Parlement peuvent aussi changer la donne, ce qui embrouille davantage les prévisions. Alors, quels sont les scénarios possibles?
- Sortie avec accord. Le Parti conservateur et le Parti travailliste sont en pourparlers pour dénouer l’impasse du Brexit. En résumé, ils espèrent accomplir en six mois ce qu’on n’a pas réussi à faire en deux ans. Qu’ils acceptent enfin l’accord de la première ministre Theresa May ou qu’ils en négocient un tout nouveau, l’option la plus probable reste la sortie avec accord. Même si c’est dans l’intérêt de tout le monde de faciliter la transition, jusqu’à maintenant, la route a été bien cahoteuse.
- Sortie sans accord. Même si les parlementaires ont voté contre le retrait, plusieurs se sont abstenus; il est donc encore possible. Il y a beaucoup de querelles, et le Parti conservateur et le Parti travailliste sont tous deux profondément divisés. La première ministre pourrait démissionner, une élection pourrait être déclenchée, et il pourrait même y avoir un autre référendum. S’il peut se passer beaucoup de choses en un mois, imaginez en six mois, et la perspective de participer aux élections du Parlement européen le mois prochain confère une dimension absurde au drame.
- Annulation du Brexit – pour l’instant. En décembre, la Cour de justice européenne a statué que le Royaume-Uni pouvait révoquer l’article 50 unilatéralement. Autrement dit, le Royaume-Uni pourrait décider d’annuler le Brexit sans que l’UE ait son mot à dire. Le Brexit ne serait pas abandonné à jamais, mais le bon sens l’emporterait et on refermerait le couvercle sur le débat jusqu’à ce qu’un consensus public et politique soit atteint. Ce scénario pourrait toutefois prendre de nombreuses années et nécessiterait probablement un autre référendum. En ce moment, il y a un ras le bol général à l’égard du Brexit. Selon les sondages les plus récents, à peine un peu plus de citoyens britanniques préféreraient rester dans l’UE plutôt que la quitter. Même dans l’éventualité d’un autre référendum d’ici quelques années, le verdict pourrait être mitigé, à l’instar du vote très serré de 2016. Malgré les manchettes négatives sur l’exode des entreprises vers le continent et ailleurs, et les pertes d’emploi en résultant, la population semble inébranlable.
Même si la décision finale est trop difficile à prédire, la sortie avec accord demeure l’option la plus probable. Il y a à peine trois semaines, cette option était clairement en avance, mais elle s’est maintenant essoufflée. On peut s’attendre à des revirements de situation dans les prochaines semaines : la suite des choses ne sera pas de tout repos. Si une élection est déclenchée et qu’un fervent partisan du Brexit prend le pouvoir, la partie sera finie. Si un autre référendum a lieu et qu’il se solde par une autre impasse, la possibilité de remettre le Brexit à plus tard sera la plus plausible. C’est le comble de l’ironie : plus on tarde et plus les deux dernières options ont de chances de se produire – même si elles sont diamétralement opposées. Espérons qu’il ne s’agira pas que d’un coup de dés.
Opposition des entreprises
Dyson, concepteur et fabricant d’aspirateurs à la fine pointe, fait partie des nombreuses entreprises qui ont annoncé le déménagement de leur siège social à l’extérieur du Royaume-Uni. Pour éviter les bouleversements à venir, Panasonic et Sony déménagent leur siège social européen à Amsterdam. Nissan est revenue sur sa décision de fabriquer son modèle X-Trail au Royaume-Uni, optant plutôt pour le Japon. Honda a annoncé la fermeture de son usine au Royaume-Uni. Toyota et Ford ont publié des avertissements semblables.
Le mécontentement des entreprises se manifeste dans tous les secteurs. Airbus affirme qu’elle a dépensé « des dizaines de millions d’euros » pour se préparer au Brexit et prévient qu’il faudra prendre des décisions difficiles. Rappelons qu’il est impossible de participer à un projet Airbus à l’extérieur de l’UE. Enfin, le chef de la direction de Siemens a exprimé le malaise de toutes les entreprises : « Personne n’investit dans l’incertitude. »
Les institutions financières de Londres se sont rapidement dotées de mesures de relocalisation. La liste est longue : Goldman Sachs, BNP Paribas, UBS, la HSBC, Credit Suisse, la Deutsche Bank et même Barclays. On estime que les groupes de services financiers pourraient transférer un actif financier d’environ 1,3 billion de dollars américains hors du Royaume-Uni vers d’autres villes d’Europe, comme Paris, Francfort et Dublin.
Que peuvent faire les entreprises canadiennes?
Pour les exportateurs et les investisseurs canadiens ayant des intérêts au Royaume-Uni, le report du Brexit a un bon côté : si vous n’avez pas encore prévu de plan B, il n’est pas trop tard pour le faire. Évaluez votre position dans la chaîne d’approvisionnement et déterminez quelles sont vos options, mais prenez garde : cette fenêtre de planification se referme rapidement.
Dans notre récent webinaire sur le Brexit, Robert Brant, associé directeur du bureau de Londres de McCarthy Tétrault, offre les conseils suivants :
- Maintenez des liens étroits avec vos partenaires du Royaume-Uni, car les choses changent d’heure en heure.
- Si vous êtes actif au Royaume-Uni ou utilisez ce marché pour entrer en Europe, assurez-vous que vos contrats soient toujours valides advenant une sortie avec ou sans accord.
- N’oubliez pas la planification fiscale : certaines directives fiscales de l’UE pourraient cesser de s’appliquer si le Royaume-Uni se retire de l’UE.
- Demandez-vous à quel point vous avez besoin de la main-d’œuvre de l’UE et dotez-vous de plans d’urgence.
Quelle que soit la décision finale dans le dossier du Brexit, il ne fait aucun doute que le Royaume-Uni restera un marché très important pour le Canada. Cela est une certitude, alors il faut planifier en conséquence. Repérez les sources de retard potentielles, adoptez une approche plus flexible par rapport à votre chaîne d’approvisionnement et, surtout, soyez prêt à porter un fardeau supplémentaire à court terme pour assurer votre réussite à long terme au Royaume-Uni.
Pour vous aider à planifier, restez au fait des nouveaux événements pertinents qui pourraient jouer sur le dénouement : sortie avec accord, sortie sans accord ou annulation du Brexit.