Le débat sur le Brexit – la décision du Royaume-Uni de sortir de l’Union européenne – se poursuit sans fin apparente. Stephen Wilhelm, vice-président régional, EMOA (Europe, Moyen-Orient, Afrique) à EDC, est sur place, à Londres, d’où il fait le point sur l’avenir du Royaume-Uni et ses possibles conséquences sur l’exportation canadienne.
Le principal problème du Brexit, c’est le manque de clarté pour les différents acteurs. Les entreprises actives au Royaume-Uni, qu’elles soient basées sur le territoire ou ailleurs, ne savent pas quelle sera leur réalité après le Brexit.
Au Canada, l’incertitude touche non seulement le commerce avec le Royaume-Uni (troisième destination des exportations après les États-Unis et la Chine), mais aussi l’investissement sur ce marché : après les États-Unis, c’est celui sur lequel les entreprises canadiennes investissent le plus, souvent pour en faire un tremplin vers l’Union européenne (UE) et au-delà. Ainsi, le Brexit pourrait avoir une incidence considérable sur les investisseurs canadiens quant à leurs stratégies d’expansion en Europe et dans le monde.
Un Brexit sans accord
Plus généralement, du côté des conséquences économiques du Brexit sur le Royaume-Uni et l’UE, pas moins de 44 % du commerce britannique de biens et services se fait avec l’UE; inversement, le commerce avec le Royaume-Uni ne représente que 8 % des échanges de l’UE. Pour l’économie britannique, l’UE occupe donc une place beaucoup plus importante proportionnellement, et les conséquences d’une sortie de l’Union sans accord se feraient surtout sentir au Royaume-Uni.
En contrepartie, le Brexit pourrait ouvrir des portes aux entreprises canadiennes. Le Canada et le Royaume-Uni sont présentement liés par un accord commercial, l’AECG (Accord économique et commercial global), mais si le Royaume-Uni sort de l’UE sans accord, il sortira aussi de l’AECG. C’est pourquoi le Canada et le Royaume-Uni négocient actuellement un accord intérimaire inspiré de l’AECG, ce qui pourrait donner une longueur d’avance aux entreprises canadiennes sur la concurrence européenne dans l’exportation de biens et services au Royaume-Uni. Cependant, la menace d’un ralentissement de l’économie britannique dans le cas d’un Brexit sans accord plane toujours.
Voilà ce qui fait obstacle aux exportateurs et investisseurs canadiens : ils ne savent pas sur quoi baser leurs prévisions. Le mieux que les entreprises puissent faire, c’est d’envisager divers scénarios avec leurs clients ou distributeurs britanniques pour se préparer autant que le permet l’information disponible et de maintenir le dialogue jusqu’à ce que la situation se stabilise.
Le pire des scénarios
À mon avis, le pire des scénarios serait un Brexit « dur » (la position par défaut entérinée par la loi britannique) sans accord commercial intérimaire entre le Canada et le Royaume-Uni. Cette combinaison pourrait porter un coup dur aux exportateurs canadiens, même si le Royaume-Uni a récemment publié un barème de tarifs douaniers temporaire en cas de Brexit sans accord, qui serait alors un soulagement provisoire : 87 % de la valeur totale des importations du Royaume-Uni seraient admissibles à une exemption de tarifs douaniers pendant un maximum de 12 mois.
Selon moi, les entreprises canadiennes les plus à risque sont celles qui ont déjà investi au Royaume-Uni, en particulier celles qui s’en servent comme tremplin vers l’Europe et au-delà. En effet, même un accord commercial intérimaire entre le Canada et le Royaume-Uni ne serait d’aucun secours aux entreprises qui exportent déjà à partir du pays. Ces filiales canadiennes pourraient se heurter à des perturbations de la chaîne d’approvisionnement et à des tarifs d’exportation ou d’importation relatifs à l’UE. Quoi qu’il en soit, EDC continuera de soutenir les activités des entreprises canadiennes au Royaume-Uni et en Europe sans égard aux résultats du Brexit.
Se préparer, c’est la clef
Les entreprises canadiennes qui ont des filiales en sol britannique devraient déjà être prêtes à toute éventualité. Certaines ont peut-être adopté d’intéressantes stratégies d’atténuation du risque en investissant dans l’UE ou en y nouant de nouveaux partenariats. De manière générale, de plus en plus d’entreprises britanniques et internationales se disent mécontentes de constater qu’une telle incertitude persiste à un stade si avancé, en particulier quand il est question d’investissement et de chaînes d’approvisionnement. Par exemple, certaines se sont décommandées, comme Nissan, qui a récemment annulé un projet d’installation au Royaume-Uni; d’autres ont relocalisé leur siège social hors du Royaume-Uni, comme Sony et Panasonic; parallèlement, d’importants investisseurs, comme Airbus, ont exprimé leurs craintes sur le sort de leurs investissements au Royaume-Uni.
Ce dont on ne parle pas, toutefois, c’est du grand nombre d’entreprises sur la touche qui peuvent se permettre d’attendre l’éventuelle conclusion du Brexit pour ensuite voir ce qu’il en est.
Une porte ouverte aux entreprises canadiennes
Selon les prévisions, les investissements massifs en infrastructures au Royaume-Uni continueront peu importe le résultat du Brexit. Nous y voyons une bonne occasion d’affaires pour les entreprises canadiennes, et EDC est disposée à prêter de grandes sommes pour ces projets d’infrastructures afin de renforcer la présence canadienne sur le sol britannique, ce que peuvent comprendre les promoteurs.
Au Royaume-Uni, certains bailleurs de fonds ont restreint leurs activités, par exemple la Banque européenne d’investissement, établie au Luxembourg. Pour EDC, ce vide est l’occasion de devenir une source majeure de financement pour les grands projets d’infrastructures, et les promoteurs comprennent que pour avoir accès à ces fonds, ils doivent s’adresser aux fournisseurs et investisseurs canadiens – ce qui ouvre des portes à ceux-ci.