Les entreprises canadiennes peuvent perdurer, malgré les problèmes causés par la COVID-19. La mienne y est parvenue.
Je possède Cemondia, une entreprise montréalaise propriétaire d’une filiale, Saimen, établie à Shanghaï. Ce que j’ai à dire aux entreprises canadiennes, c’est qu’il ne faut pas perdre espoir.
Nous avons vécu les mêmes peurs que vous à l’heure actuelle. À la fin du mois de janvier, après le Nouvel An chinois, la COVID-19 déferlait sur la Chine et le gouvernement a imposé des mesures strictes. Pour nous, la maladie arrivait de nulle part. Au début de 2020, nous n’avions pas idée de l’ampleur que ça pourrait prendre et tout d’un coup, plus moyen d’aller travailler. Il a fallu s’adapter rapidement pour permettre aux employés de travailler à la maison et les protéger.
Les premiers jours d’isolement ont rendu évidente la nécessité d’élaborer un plan pour éviter de voir Saimen – ma toute jeune PME (huit printemps) de divertissement et de transformation – s’écrouler sous le choc. Il est bon d’avoir du temps pour réfléchir en profondeur, une denrée rare dans l’exploitation quotidienne d’une entreprise.
L’isolement a duré trois semaines au total. On nous a permis de retourner au bureau après deux semaines pour aller chercher des documents et du matériel. Une fois de retour au bureau à temps plein, nous maintenions une distance de deux mètres et il fallait prendre la température de tout le monde à l’arrivée au bureau. Cette pratique a toujours cours dans notre immeuble, et dans bien d’autres, y compris au Starbucks du coin. Cela dit, à part cela, nous sommes revenus à la normale à la mi-mars.
J’ai élaboré 10 principes qui, j’en suis convaincu, nous ont aidés à atténuer les effets de la crise et à nous renforcer. J’espère qu’ils vous seront utiles.
- Évaluer sa trésorerie : Après avoir fait un état de mes comptes, j’ai établi trois ratios financiers à surveiller.
- Le ratio de roulement : On obtient ce ratio en divisant la trésorerie par le taux de combustion du capital. Il indique le nombre de mois que peut tenir l’entreprise sans enregistrer de revenus tout en payant loyer, salaires, électricité et taxes. Pour nous, le ratio s’élevait à 3,5 mois; la rigueur était donc… de rigueur. Cela voulait aussi dire que les mises à pied massives n’étaient pas nécessaires. Nous comptons 80 employés, et nous n’en avons eu qu’un à mettre à pied. Nous leur avons dit que nous continuerions à payer leurs salaires, mais que nous avions besoin de leur collaboration.
- Le ratio de contrainte : C’est le quotient de l’actif à court terme divisé par le passif à court terme. Il indique si les liquidités doivent être versées à quelqu’un (fournisseur) dans deux semaines. Il aide à planifier les tâches à accomplir : négocier avec les fournisseurs, parler avec la banque, reporter le paiement du loyer. Cet exercice nous a permis de voir qu’il fallait ralentir notre approvisionnement et monétiser des créances.
- Le ratio de commandes : Il s’agit du volume de bons de commande signés et en cours de traitement divisé par les ventes mensuelles. On voit ainsi s’il y a lieu ou non de s’inquiéter pour l’avenir. Notre carnet de commandes était garni pour l’équivalent de deux à trois mois de ventes. Rassurant!
- La communication, c’est le secret : En temps de crise, il faut communiquer. Dès qu’il a fallu aller en isolement, la communication est devenue notre première priorité. Nous avons pris le temps de tenir nos employés informés de nos intentions, de parler avec nos fournisseurs de ce qu’ils pouvaient et ne pouvaient pas faire pour nous, de voir avec la banque quelle latitude elle pouvait nous donner et de gérer les attentes des clients. Pour communiquer avec les employés, nous avons utilisé un logiciel spécial et tenu des réunions en ligne pour expliquer la situation, ce que nous attendions d’eux et ce qu’ils pouvaient attendre de nous. Au début, il était surtout question d’équipements de protection individuelle pour eux et leur famille ou d’aide financière.
- Les contrôles préalables, c’est payant : Une question que se poseront les exportateurs en particulier concerne la gestion du risque lié à la chaîne d’approvisionnement. Après le début de la crise, il est presque trop tard pour gérer ce risque efficacement; par contre, si vous avez effectué vos contrôles préalables, vous récolterez les fruits de votre labeur. Sur ce point, nous avons été chanceux. En effet, nous n’avons jamais lésiné sur l’évaluation de nos fournisseurs. Certaines entreprises ont perdu 50 % de leur chaîne d’approvisionnement, ce qui les a conduites à la faillite. Pour notre part, je ne crois pas que nous ayons perdu un seul fournisseur. Mais même après avoir bien évalué ses fournisseurs, il faut continuer à garder l’œil ouvert tout au long de la crise, c’est-à-dire les appeler, leur demander s’ils peuvent toujours travailler… bref, obtenir le plus d’information possible. Il se peut que certains n’arrivent pas à se maintenir; si c’est le cas, il faut le savoir.
- Se tenir au fait des annonces officielles : Les gouvernements instaureront des politiques solides pour aider les entreprises tout en imposant des mesures contraignantes strictes. Il est capital de profiter des premières et de se conformer aux secondes. Nous avons obtenu des avantages fiscaux qui nous aidés à nous maintenir à flot. Il fallait demeurer au fait des directives applicables au transport et à la logistique. Pouvions-nous utiliser les transports routier et aérien? Les livraisons étaient-elles possibles? À la réouverture de l’usine, certains de nos employés revenaient de secteurs à haut risque. Nous devions être au fait des règles applicables à leur cas.
- Gérer le stress et la continuité des activités : Je n’ai jamais été si isolé, et pourtant, je n’ai jamais autant communiqué avec employés et clients. La communication est la pierre angulaire de la continuité des activités. La filière pour bien maintenir les activités est longue – du marketing aux ventes en passant par l’exploitation, l’expédition, la logistique et les finances. Chaque propriétaire d’entreprise sent bien la crise arriver, mais il sait aussi qu’elle va passer. En confinement, le stress augmente, et le voyage en Floride pour se détendre est, bien évidemment, hors de question. J’ai donc sorti mon tapis roulant, lu plus de livres et regardé plus de films.
- Imaginer un dénouement positif : J’ai continuellement imaginé que nous réussirions non seulement à tirer notre épingle du jeu, mais à en sortir grandis. Ce petit exercice psychologique a eu l’effet d’une clé de voûte : il m’a permis de ne pas m’écrouler, de croire que la crise nous rendrait plus forts et c’est ce qui arrivé.
- Garder l’œil sur ses marchés et ses clients : Les règles qui s’appliquent à la chaîne d’approvisionnement s’appliquent aussi aux clients. Restez en contact et soyez au fait de leurs besoins. Nous avons des bureaux à Montréal, et malgré les bouleversements en Chine, les activités au Canada suivaient leur cours, ce qui veut dire qu’une part importante du travail était liée à notre situation. L’équipe montréalaise fait la chasse aux dettes et achète des équipements de protection pour nous. Nous sommes généralement plutôt rigoureux dans nos contrôles préalables. Parce que nous avons déjà eu des clients qui ont failli à leurs obligations, nous vérifions toujours les antécédents. Nos représentants aux ventes ont été mis à contribution pour les appels aux clients. Un seul de nos clients a fait faillite pendant la crise, un client chinois. Nous faisons le même exercice pour nos clients en dehors de la Chine à l’heure actuelle.
- Compter sur ses meilleurs éléments : On voit bien, avec le recul, que certaines personnes au sein de l’entreprise ont joué un rôle capital dans notre capacité à maintenir nos activités et à limiter à un le nombre d’employés perdus. Ces « piliers » débordent d’énergie positive et ont tenu le fort, protégeant ainsi notre position. Ils ont tous mis l’épaule à la roue, et si nous sommes toujours là, c’est grâce à l’énergie de ceux et celles qui ont refusé de reculer devant l’ampleur de la tâche. Ils se sont démarqués par leur dynamisme et leur optimisme, réduisant les commandes auprès des fournisseurs et offrant des solutions originales. Honnêteté, franchise, clarté et transparence ne manquent jamais de mobiliser les gens qui ont l’entreprise à cœur.
- Soutenir ses RH : Les Ressources humaines jouent un rôle central dans l’adaptation au télétravail. C’est cette équipe qui s’occupe autant d’acheter les désinfectants et les équipements de protection pour les employés que de leur procurer l’équipement informatique requis. Nos RH ont vu leur charge de travail tripler. Elles peuvent en même temps devoir gérer des mises à pied temporaires ou permanentes. L’apport de l’équipe des finances a aussi été important : elle a répondu à des appels, négocié avec les banques, fait reporter des paiements, tenté d’obtenir des paiements anticipés auprès de certains clients. Ces tâches sortent du cadre régulier de nos activités, mais elles sont cruciales en temps de crise.
- Voir la crise comme une occasion : Winston Churchill a dit : « Ne jamais gaspiller une bonne crise ». J’ai pris du temps en isolement pour revoir les processus caducs et planifier leur élimination ou leur remplacement. Les crises tendent à couper court à la procrastination.