Lorsque la COVID-19 a frappé le Canada, l’entreprise de Jeremy Hedges, InkSmith, n’a pas immédiatement été touchée, mais jamais l’entrepreneur n’aurait pu imaginer tout ce que la pandémie le forcerait bientôt à apprendre.
L’entreprise de Kitchener, en Ontario, se spécialise dans les technologies éducatives pour les enseignants de tout le pays. Elle produit des « unités d’enseignement en boîte » qui présentent la robotique, la conception et l’ingénierie aux élèves et les incite à inventer des solutions à des problèmes de la vraie vie. Avant la pandémie, l’entreprise discutait déjà avec Exportation et développement Canada (EDC) de la possibilité d’offrir ses produits sur les marchés étrangers tout en limitant les risques financiers liés à l’exportation.
Puis, le coronavirus est arrivé, et tout a changé. Si la crise s’est avérée déstabilisante et même dévastatrice pour beaucoup d’entrepreneurs canadiens, elle a offert une occasion incroyable à l’entrepreneur de 27 ans, qui, enfant, avait vu ses deux parents diriger leurs propres entreprises.
L’étincelle s’est produite lorsqu’on a cogné à la porte de Jeremy Hedges : c’est tout ce qu’il a fallu pour que naisse la nouvelle entreprise.
Un médecin de la région s’est présenté aux bureaux d’InkSmith, demandant si l’entreprise envisagerait de produire autre chose avec ses imprimantes 3D. Le médecin avait entendu parler de valves de respirateur imprimées par une entreprise italienne pour un hôpital dont le fournisseur manquait de stocks. Le jour suivant, un autre médecin est passé demander si InkSmith pourrait aider à produire les 10 000 écrans faciaux manquants pour le personnel de la santé de la région. La réponse : oui.
Au départ, l’entreprise n’avait aucune intention de dominer le marché des écrans faciaux; elle voulait aider, point à la ligne. Il est vite apparu que l’impression 3D de protections à usage unique était trop lente pour répondre efficacement à l’énorme demande. L’entreprise s’est donc tournée vers la production participative de pièces : sur les médias sociaux, elle a demandé la contribution de particuliers possédant leur propre imprimante 3D et souhaitant contribuer à la lutte contre la COVID-19.
« La réponse a été incroyable – nous avons reçu des pièces de partout –, mais la production était encore trop lente pour répondre à la demande », explique l’entrepreneur. Au lieu d’abandonner le projet, InkSmith s’est alliée à Kwartzlab, une « société de créateurs » sans but lucratif. C’est elle qui gère depuis ce moment le projet de production participative, grâce auquel le Community Shield est fabriqué par impression 3D.
Pour InkSmith, c’était le moment de créer quelque chose de complètement nouveau. L’équipe voulait concevoir un écran facial rapide à produire et facile à nettoyer, qui pourrait ainsi être réutilisé. « Nous sommes passés de l’impression 3D au découpage laser. Et nous avons continué d’enrichir nos technologies pour accroître notre efficacité », indique Jeremy Hedges.
Quelques semaines plus tard, voilà que le nouveau produit – The Canadian Shield, comme on l’appelle gentiment – est approuvé par Santé Canada. InkSmith s’est aussi fait commander 10 millions d’écrans faciaux à produire en trois mois par le gouvernement fédéral. Grâce à ce contrat, les effectifs sont passés de moins de 10 personnes à environ 250, et l’entreprise s’est installée dans une nouvelle usine de 4 650 m2.
Jeremy Hedges attribue en partie à la chance l’entrée de son entreprise dans le domaine de la santé. « J’ai beaucoup d’amis qui ont dû fermer leurs portes, mettre à pied leurs employés. C’est une période difficile pour les entrepreneurs. » Il dit aussi avoir beaucoup appris de sa décision de réorienter son entreprise. Voici donc quelques leçons dont il aimerait faire profiter les autres.
Préparez-vous à un travail colossal au départ
Pour concevoir un nouveau produit et mettre en place des méthodes de travail plus sécuritaires, il faut beaucoup de temps et un engagement sans faille. Les premières semaines, remplies au possible, étaient malgré tout « magiques », selon l’entrepreneur. Son équipe a créé prototype après prototype, essayant sans relâche de concevoir un meilleur écran facial réutilisable. Mais il n’y avait pas beaucoup de temps pour la réflexion. Chaque jour, c’était le lever au petit matin et le travail jusque tard dans la nuit. Encore maintenant, des semaines plus tard, l’entrepreneur fait de longues journées, arrivant au travail à 7 h pour y rester jusqu’à 23 h. Et ce, sept jours sur sept.
Consultez les experts du domaine et trouvez les besoins non comblés
Certains cherchent à investir un nouveau créneau ou veulent simplement faire les choses autrement; Jeremy Hedges leur recommande alors de parler à des spécialistes pendant la conception de leur nouveau produit. Tout le monde sait que les entreprises ont de la difficulté en ce moment, et les gens ont un désir sincère d’aider les autres à traverser la crise. Vous trouverez des personnes motivées et prêtes à vous faire part de leurs conseils et de leur expérience. Ces interlocuteurs vous aideront à cibler les besoins auxquels doit répondre votre produit ou votre service, et ils pourront vous signaler les lacunes qu’ils voient dans le marché, alors que vous n’auriez peut-être rien remarqué. Dans le cas d’InkSmith, ces experts ont vu l’occasion de créer un écran facial réutilisable pour remplacer les nombreux modèles condamnés à l’usage unique par la bande de styromousse qui s’appuie sur le front de l’utilisateur.
Misez sur les essais pratiques et la rétroaction
InkSmith a consulté des dizaines de professionnels de la santé, envoyant sans arrêt des prototypes d’écrans faciaux aux travailleurs de première ligne pour que ces derniers les évaluent et suggèrent des modifications. Il est même arrivé que le chef de la direction d’un hôpital du coin s’occupe des livraisons entre les bureaux d’InkSmith et l’hôpital pour accélérer le processus de rétroaction. Bien entendu, l’adoption d’un nouveau produit n’est pas toujours aussi forte, mais Jeremy Hedges soutient qu’on ne fait jamais trop connaître son produit. Lui-même a sollicité les commentaires de dizaines de personnes de différents établissements de soins.
Mettez tout le monde à l’ouvrage – vous y compris
L’homme d’affaires passe souvent huit heures, soit un quart de travail complet, sur le plancher, à participer à la fabrication des écrans faciaux, puis il retourne à son bureau pour rédiger des courriels et gérer les finances et les effectifs. Le travail à l’usine lui permet de mieux comprendre le processus et le flux de travail de sa nouvelle entreprise. C’est une façon pour lui de voir ce qu’il faut améliorer, sans se laisser emporter par la folie des grandeurs. « Ça me motive énormément de parler avec mes employés, ajoute-t-il. Leur vécu est vraiment impressionnant. »
Vous devriez également consulter
Notre Programme de garanties d’exportations peut aider votre banque à augmenter votre financement.
Parlez à votre institution financière
Souvenons-nous que Jeremy Hedges avait déjà communiqué avec EDC au sujet de l’expansion mondiale de son entreprise de technologies éducatives avant que la COVID-19 n’en fasse voir de toutes les couleurs à la planète. « J’étais très satisfait de la collaboration entre RBC et EDC, qui ont rapidement trouvé une solution répondant à mes besoins d’affaires », souligne l’entrepreneur. RBC et EDC ont aidé InkSmith à croître rapidement grâce à un prêt bancaire auquel s’ajoutait, à titre de garantie, le Programme de garanties d’exportations d’EDC. Dans le contexte de la pandémie, comme InkSmith produisait de l’équipement de protection pour les travailleurs de la santé (une priorité aux yeux de nombreuses institutions financières), l’entreprise a finalement obtenu en une semaine un prêt dont l’approbation aurait dû prendre un mois complet.
Prenez au sérieux les précautions sanitaires au travail
InkSmith a mis en place de nombreuses mesures visant à protéger la santé de ses employés. Le comble, selon le chef d’entreprise, aurait été d’ouvrir pour finalement être forcé de fermer parce qu’il n’aurait pas bien fait les choses. Il a déjà vu la situation se produire.
Jeremy Hedges savait qu’il était essentiel de consulter les autorités de santé publique locales et le ministère de la Santé pour savoir comment ouvrir l’usine et vérifier si les mesures en place suffisaient. Il a aussi demandé à un médecin de venir confirmer que tout était conforme.
Voici la méthode choisie : tous les employés portent un masque chirurgical et se protègent les yeux, la plupart avec un écran facial de l’entreprise. Partout sur le sol, des marques au ruban adhésif indiquent la distance de deux mètres à respecter. « Le ruban adhésif peut sembler exagéré ou inutile, mais vous seriez surpris de savoir combien il est difficile de maintenir l’éloignement sanitaire quand on est occupé ou qu’on parle à un collègue », souligne l’entrepreneur.
À l’entrée du bâtiment d’InkSmith, il y a du désinfectant pour les mains. On y prend aussi la température de chaque employé, et ces données sont conservées. On utilise la cuisine une personne à la fois, et quiconque entre dans la pièce doit d’abord se laver et se désinfecter les mains. Des postes de pause-dîner ont été installés à deux mètres les uns des autres. Chaque personne doit vaporiser son poste et le nettoyer avant de manger et après avoir terminé. Il y a aussi un service de nettoyage en tout temps, parce que la production se poursuit la nuit. Jeremy Hedges précise que l’objectif est de faire désinfecter chaque poignée de porte et chaque surface solide toutes les heures. Jusqu’à maintenant, tout semble fonctionner; personne n’est tombé malade.
Planifiez à long terme
L’entrepreneur pense-t-il que le système de santé canadien aura besoin d’énormes quantités d’écrans faciaux pour toujours? Non. Ou du moins, il espère que non. Il s’imagine que la situation changera à nouveau dans un an ou deux, alors il tente d’anticiper ce qui attend sa nouvelle entreprise et le secteur de la fabrication en général. Il parle déjà d’investir dans diverses technologies, pour être en mesure de produire tout l’équipement de protection individuelle (EPI) : masques chirurgicaux, blouses, etc. Il conclut : « Il y a des possibilités de croissance; je veux transformer cette période invraisemblable en une occasion qui profitera durablement à mon entreprise et à mes concitoyens. »