Les risques auxquels les exportateurs canadiens font face à l’international évoluent sans cesse. Si la situation peut demeurer relativement stable pendant plusieurs mois, des changements importants peuvent toutefois survenir à l’occasion, et c’est exactement ce qu’EDC a pu observer cette année.
Les nouvelles conditions de risque pour les entreprises découlent des changements opérés sur la scène politique et économique depuis le début de 2017. EDC les voit comme des risques « extrêmes » – c’est-à-dire des risques qui ne se matérialiseront sûrement pas, mais qui sont tout de même suffisamment probables et qui auraient des répercussions suffisamment graves pour qu’on s’en méfie.
Ces risques étaient tous déjà jugés élevés par EDC depuis un moment, mais les récents événements sur la scène mondiale ont bousculé leur position sur la liste. Voici donc les risques qui pèsent sur les entreprises, par ordre décroissant de gravité.
1. Forteresse Amérique
Il est question ici de l’attitude des États-Unis envers le reste du monde. Ce risque était déjà en tête du palmarès en janvier, et rien n’indique qu’il a perdu de son importance.
« Cela comprend notamment l’imposition d’une taxe d’ajustement aux frontières, un différend commercial grave avec la Chine et l’adoption d’une position intransigeante lors de la renégociation de l’ALENA », énumère l’analyste des risques pays d’EDC, Ian Tobman. « Il ne fait aucun doute que les exportateurs canadiens seraient directement touchés par une refonte de l’ALENA. Quant aux autres actions de notre voisin du Sud, tout dépend de leur effet sur l’économie américaine et, en conséquence, sur la relation commerciale avec le Canada. »
2. Immobilisme politique aux États-Unis
« Vu la façon dont la nouvelle administration fait bouger les choses, poursuit M. Tobman, nous avons séparé en deux nos préoccupations au sujet des États-Unis. L’immobilisme politique était absent de notre liste précédente, mais nous croyons maintenant qu’il y mérite une place. Grosso modo, cela signifie que si les décisions législatives du gouvernement américain sont retardées ou bloquées à cause d’enjeux politiques intérieurs, la croissance économique des États-Unis pourrait ralentir, ce qui ferait du même coup baisser la demande pour les biens et services canadiens. »
3. Protectionnisme mondial
« Les mesures et les menaces anticommerce sont rarement unilatérales, souligne M. Tobman. Si l’un fait preuve de protectionnisme, il provoquera presque inévitablement une riposte anticommerce de l’autre. » Malheureusement, la tendance semble indiquer que le protectionnisme a de plus en plus la cote. Le retrait des États-Unis du Partenariat transpacifique (PTP) est l’exemple le plus récent de ce courant de pensée, et les véritables guerres commerciales ne sont plus aussi improbables qu’avant. Le protectionnisme représente un risque grave pour de nombreuses entreprises canadiennes dont la survie dépend du libre-échange.
4. Brexit mouvementé
Depuis les récentes élections au Royaume-Uni – que l’on pourrait interpréter comme un vote de rejet de la stratégie du Parti conservateur, qui prône un Brexit pur et dur –, la possibilité d’une sortie plus modérée de l’UE s’est accrue. Mais celle d’un Brexit mouvementé aussi : la négociation des conditions s’annonce tumultueuse, d’autant plus que les délais sont serrés et que la situation politique de l’État britannique est complexe. Les pourparlers pourraient donc être retardés, contraignant ainsi le Royaume-Uni à conclure un accord qui lui est défavorable, voire à ne conclure aucun accord du tout, auquel cas il se retrouverait « au bord d’un gouffre ».
Dans le pire des cas, la Grande-Bretagne quittera l’UE en mars 2019 sans avoir trouvé réponse à des enjeux majeurs comme les tarifs douaniers et la liberté de circulation. Cette situation pourrait mettre sérieusement à mal l’économie britannique et compliquer les affaires pour les entreprises d’ici.
« Le Brexit pourrait avoir plusieurs conclusions complètement différentes, indique M. Tobman. Ce genre d’incertitude nuit aux affaires. Des entreprises actuellement établies au Royaume-Uni, en particulier les banques, envisagent de déménager ailleurs dans l’UE. Les facteurs de risque sectoriels sont donc déjà élevés. Le Canada a conclu un accord commercial avec l’Europe, et le Royaume-Uni est l’un de ses plus gros partenaires commerciaux dans l’UE. Donc, l’avenir incertain de la relation entre l’État britannique et l’UE, et le risque que le Brexit soit mouvementé, pourraient finir par toucher les entreprises canadiennes qui sont présentes là-bas. »
5. Cyberattaque contre une importante entité publique ou privée
L’attaque perpétrée par un rançongiciel en mai 2017, qui a atteint des systèmes informatiques partout dans le monde, démontre à quel point ce type de risque s’est rapidement répandu et aggravé – et ce n’est là qu’un exemple parmi d’autres. Les cyberattaques devraient sans cesse empirer et causer de plus en plus de dommages.
Si une entité d’envergure comme une banque internationale ou une grande institution publique devait subir une telle attaque, les conséquences pourraient être désastreuses pour les entreprises canadiennes sur le marché mondial. Chez nous, dernièrement, la Banque du Canada s’est dite inquiète de voir le secteur financier ciblé. Nul doute que la majorité des secteurs de l’économie canadienne seraient alors touchés.
Qu’en pensent les autres évaluateurs de risque?
D’après Oxford Economics, les principaux risques pour les entreprises sont : un conflit en Corée, le virage populiste de l’Italie, le resserrement du crédit en Chine, et l’influence de l’administration américaine sur la croissance économique mondiale. Les trois premiers rangs sur la liste du Eurasia Group sont occupés par « L’Amérique d’abord », une réaction disproportionnée de la Chine aux obstacles intérieurs ou étrangers, et l’ébranlement du leadership d’Angela Merkel en Allemagne et en Europe. La liste d’EDC est un peu différente, puisqu’elle a été construite selon le point de vue du Canada.
6. Conflit sur la péninsule coréenne
Le risque n’est pas celui d’une guerre totale entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, mais plutôt d’une intensification constante des tensions. « Ce risque n’était pas dans notre palmarès précédent, indique M. Tobman, mais il a crû en importance à cause de la multiplication des tests de missiles en Corée du Nord, et parce que les autorités, entre autres le gouvernement américain, n’ont pas de politique adéquate pour prendre les choses en main. Il en résulte un terrain fertile pour la mauvaise gestion, et pour l’aggravation de la situation et du risque mondial en général. »
La Corée du Sud est le troisième marché d’exportation du Canada en Asie, et son sixième dans le monde. Cette relation commerciale bilatérale devrait se développer davantage grâce à l’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange entre les deux nations. Toutefois, si la situation de la péninsule coréenne s’envenime au point de devenir instable, notre croissance sur ce marché pourrait en écoper – tout comme nos intérêts commerciaux au Japon, vu sa proximité.
7. Défaut de paiement quasi souverain
Il s’agit du risque qu’une entité publique (société d’État) manque à ses obligations financières, et que l’État ne veuille ou ne puisse pas intervenir pour la maintenir à flot. Le gouvernement chinois contrôle plusieurs entités de très grande taille qui entrent dans cette catégorie. C’est aussi le cas de grandes pétrolières dans plusieurs nations.
« La cote de solvabilité d’une société d’État repose sur l’hypothèse que le gouvernement viendra à sa rescousse en cas de problème, explique M. Tobman. Or, les gouvernements centraux ne le garantissent pas expressément; souvent, cette assurance est uniquement implicite. Ainsi, lorsque les taux d’intérêt montent, la probabilité qu’une société fasse défaut de paiement augmente aussi. Et si l’État ne fait rien, la confiance diminuera dans de nombreuses autres sociétés d’État. »
Les entreprises canadiennes qui font affaire avec une société d’État d’envergure ou qui font partie de sa chaîne d’approvisionnement mondiale risquent de subir d’importants dommages en cas de défaut de paiement quasi souverain. Même si ce risque reste peu probable, toute entreprise qui traite avec des sociétés d’État devrait en tenir compte.
8. Terrorisme 2.0
Les terroristes pourraient utiliser des technologies avancées pour attaquer des gens, des infrastructures et des institutions. Ce risque est bien réel, puisque l’EI a construit des drones primitifs durant la bataille de Mossoul, en Iraq. Les menaces sont incertaines pour les entreprises canadiennes présentes à l’étranger, mais notons que les voyages d’affaires pourraient être perturbés, entre autres conséquences
9. Guerre entre États
C’est le risque d’une guerre totale. « Prenons l’exemple du Moyen-Orient, reprend M. Tobman. Le risque de conflit a augmenté dernièrement, notamment avec la confrontation entre l’Arabie saoudite et le Qatar, et entre les États du Golfe et l’Iran. Si cette région entre en guerre, les cours pétroliers mondiaux et les entreprises canadiennes qui y sont présentes en subiront les contrecoups. »
10. Crise du crédit ou crise financière en Chine
Les organismes de réglementation chinois souhaitent mettre en place une surveillance du secteur d’activités bancaires parallèles afin de corriger les inégalités du système financier. « Le but est de trouver un équilibre entre la croissance et la réduction du levier d’endettement, explique M. Tobman. C’est un processus qui, s’il est mal géré, pourrait pénaliser d’autres secteurs de l’économie chinoise, et peut-être aussi les entreprises canadiennes qui font des affaires sur ce marché. Néanmoins, les analystes du crédit voient la situation d’un bon œil, puisque le gouvernement est en train de resserrer la réglementation du secteur bancaire et d’atténuer le risque systémique pour celui des finances. »
« Quand on regarde la nouvelle liste, on voit que l’économie américaine est devenue une source de préoccupations beaucoup plus importante, observe M. Tobman. Les États-Unis sont de loin notre plus gros partenaire commercial, et c’est pourquoi nous avons divisé le risque global en deux catégories (forteresse Amérique et immobilisme politique). »
Le risque accru de protectionnisme mondial, quant à lui, est reflété dans des événements comme la mise à l’écart du PTP. « Du bon côté des choses, poursuit M. Tobman, le niveau de risque souverain en Europe a baissé. La menace d’un krach bancaire en Italie, par exemple, a disparu de la liste. D’un autre côté, le risque d’un Brexit mouvementé a malheureusement fait son apparition. Néanmoins, même si le retrait du Royaume-Uni demeure un sujet d’inquiétude, les entreprises d’ici ne sont plus menacées par le risque extrême que représenterait un effondrement de la zone euro. »
En gros, voici comment ça fonctionne :
- Les experts d’EDC dressent une liste des événements possibles liés au risque pays sur les plans politique, économique et social.
- Des probabilités sont associées à ces événements – quel est le risque qu’ils se produisent réellement?
- Les répercussions potentielles des risques sont étudiées du point de vue du Canada.
- Les experts d’EDC expliquent pourquoi ces risques sont pertinents pour le Canada, et pourquoi leur probabilité a augmenté ou baissé.
- Les risques sont classés en fonction de ces critères, puis EDC retient les dix premiers pour la période à l’étude.