Vous vous demandez comment jouer les trouble-fête pendant votre prochaine soirée? Vous n’avez qu’à lancer la conversation en parlant des robots. Il est révolu le temps des films d’épouvante montrant des robots hors de contrôle et détruisant tout sur leur passage. Ces jours-ci, ils ont la cote. Relevant jadis de la science-fiction, ils sont maintenant les merveilles technologiques de notre temps, en somme les gadgets dernier cri. Pourtant, dès que cette conversation se termine, les personnes présentes froncent les sourcils et le ton se fait plus feutré. Et pour cause : il subsiste une inquiétude bien réelle que ces appareils sophistiqués prennent le relais. Et on ne parle pas seulement des emplois de la chaîne de montage, mais bien de tous les emplois. Devrions-nous trembler de peur ou nous sentir stimulés face à ces prouesses technologiques?

La crainte fondamentale n’est pas vraiment nouvelle. Toutes les innovations majeures ont probablement soulevé des craintes semblables. Lorsque l’automatisation remplace l’exécution manuelle, les travailleurs ayant ces compétences qui se trouvent ainsi remplacés sont naturellement contrariés. Cette problématique a été sans doute la mieux documentée pendant les débuts de la révolution industrielle. Les travailleurs de l’industrie du bois ont été licenciés en masse par, pour reprendre les mots de William Blake, « des usines sombres et sataniques » où l’activité de tissage a été mécanisé pratiquement du jour au lendemain. On connaît la suite : les luddites ont tenté de détruire cette nouvelle technologie dans l’espoir d’un retour en arrière. La transition a été difficile pour beaucoup de travailleurs, mais nous aurions du mal à nous imaginer la vie d’aujourd’hui sans cet incroyable bond en avant. Grâce à ces avancées, les biens de première nécessité sont devenus plus abordables, ce qui a permis au travailleur d’alors d’affecter une part de son revenu à d’autres fins. Cette dynamique a rendu possible la création d’autres biens de consommation auparavant inconcevables. En fait, si ces craintes avaient retardé les progrès technologiques, les générations suivantes en auraient payé le prix sous la forme d’une baisse notable du niveau de vie.

Depuis, les débats entourant le déplacement de la main-d’œuvre portent d’habitude sur les travailleurs – les cols blancs étant généralement à l’abri. Ce n’est plus le cas. L’avènement de l’intelligence artificielle a engendré une détresse ressentie même par les employés du 40e étage d’une tour de bureaux, un mouvement auquel participent ouvertement les héritiers des avancées technologiques. On redoute que les machines règnent partout en maîtres : dans la production de biens et de services, dans le choix des meilleurs processus, dans l’anticipation de nos besoins tout en jouant les conseillers en nous suggérant la conduite à privilégier et en prenant des décisions à notre place. Bref, on redoute que les machines contrôlent tout, ce qui n’est pas sans rappeler le propos de l’œuvre d’Orwell. En poussant ce scénario à l’extrême, on vivrait dans un monde où l’intervention humaine serait facultative. 

Dans notre monde technologique, il pourrait y avoir des perturbations sociales majeures, mais le « volet technologique » n’est que la moitié du tableau. Nous craignions un important déplacement des travailleurs, mais la réalité c’est qu’il n’y a pas vraiment un surplus de main-d’œuvre. Pour tout dire, les données démographiques mondiales sont alarmantes : les économies partout sur le globe, développées comme émergentes, doivent composer avec une croissance démographique lente, stationnaire ou à la baisse – une situation qui pèse considérablement sur les projections de la croissance potentielle. 

Les économies déjà touchées par le déclin démographique présentent un tableau inquiétant. Par exemple, la population japonaise a commencé à diminuer au début des années 1990. Depuis, le Japon affiche une croissance démographique en berne. Des pays de l’Europe occidentale ont récemment emboîté le pas, et leur croissance démographique commence à ressembler à celle du Japon. Si cette trajectoire ne peut être changée, dans un contexte de repli démographique, alors l’avenir pourrait s’annoncer morose pour des pays comme la Chine, la Russie, d’autres nations de l’OCDE et le Canada. 

Peut-on éviter pareil scénario? Et si les pays affectés par cette problématique démographique mobilisaient habilement les capacités des machines pour effectuer des tâches dans des domaines où la main-d’œuvre fait défaut? Les travailleurs déplacés suivraient des formations dans des champs d’activité où il y a un manque de main-d’œuvre compétente (et ils sont actuellement nombreux partout sur la planète). Bien sûr, il n’est pas simple de gérer parfaitement ce genre de transformation, mais le principe est établi. Les contraintes en matière de main-d’œuvre nous envoient un message clair : nous avons besoin des travailleurs déplacés pour des motifs technologiques afin que nos économies maintiennent une croissance respectable. Et puis, en prime, les machines permettent d’améliorer la croissance de la productivité – qui est depuis longtemps la bête noire des économies de l’Occident. 

Deux éléments calment les inquiétudes entourant le déplacement de la main-d’œuvre pour des raisons technologiques : le premier, c’est que nous manquons de main-d’œuvre; le second, c’est que dans une ère marquée par le changement, l’être humain peut déployer des trésors d’ingéniosité et, au bout du compte, déjouer les actions des « usines sataniques ».

Conclusion?

Ce n’est pas demain que les robots régneront en maîtres. Après tout, nous les avons inventés et ils nous sont utiles depuis déjà un bon moment, et ce, alors même que les taux de chômage glissent à des taux historiques. Et puis n’oublions pas que les machines n’ont pas le droit de vote… Voilà une raison de plus pour les utiliser à notre avantage.