Un bon ami à moi, ancien collège de travail et mentor, me disait souvent que « si la nécessité est mère de l’invention, la crise, elle, est mère de la transformation ». La Grande Dépression du début des années 1930 a ouvert la voie au New Deal du président Roosevelt. De même, une série de scandales très médiatisés impliquant des entreprises au début des années 2000 ont mené à l’adoption de la Sarbanes-Oxley Act, une loi américaine destinée à protéger les investisseurs et le public.

Plus récemment, la crise de la COVID-19 a exposé les vulnérabilités des processus de fabrication, ces piliers de l’activité économique, au nom de l’orientation client et d’une production accrue. La demande comprimée, libérée au lendemain des confinements imposés par la pandémie, a été si puissante qu’elle a excédé les capacités de production et des réseaux de logistique connexes. Nous connaissons la suite : l’inflation a grimpé à des sommets inédits en 40 ans. Pour contrer cette poussée inflationniste, le gouvernement américain a adopté une série de mesures législatives. Son objectif : investir plus de 2 000 milliards de dollars américains dans l’économie pour accroître la compétitivité, l’innovation et la productivité industrielle. 

Parmi ces législations, on trouve un projet de loi ambitieux dans le domaine de l’infrastructure. Son but est de renouveler les infrastructures de transport aux États-Unis, renforcer les réseaux à large bande et construire un réseau national de stations de recharge pour les véhicules électriques. Par ailleurs, en adoptant l’Inflation Reduction Act, le gouvernement américain cherche à stimuler l’investissement dans les énergies propres, bonifier les capacités de fabrication sur le marché intérieur, encourager l’approvisionnement de matières critiques et fournir des incitatifs à la commercialisation de technologies propres à la fine pointe. Enfin, par la promulgation du CHIPS and Science Act, les États-Unis souhaitent augmenter leurs capacités de fabrication de semiconducteurs et, de cette façon, sécuriser l’offre de microprocesseurs.

Ces gestes forts du Congrès américain s’inscrivent dans le cadre d’une politique industrielle plus vaste dont la finalité est simple : inciter les entreprises à rapatrier certains éléments de leur chaîne d’approvisionnement. Parallèlement, les administrations locales et des États offrent des incitatifs pour persuader ces entreprises de revenir s’implanter au pays. Aujourd’hui, il est clair que les motifs invoqués vont au-delà de la congestion des chaînes d’approvisionnement et de la résilience des réseaux de logistique. En fait, selon de récents sondages, les consommateurs américains se disent de plus en plus favorables à des politiques du type « Made in America » : plus de 83 % des répondants déclarent être prêts à payer jusqu’à 20 % de plus pour des produits fabriqués au pays.

 

Ce revirement, tant du côté des préférences des consommateurs que dans le paysage politique, a donné des résultats tangibles. Dans le secteur de la fabrication, la valeur de l’investissement dans la construction a bondi de 34 % en 2022, par rapport à une croissance annuelle moyenne de 2,6 % entre 2010 et 2021. Cette hausse est surtout attribuable à l’envolée de 220 % des dépenses affectées à la construction d’usines pour la fabrication de composants informatiques, électroniques et électriques. Cette tendance devrait s’accélérer alors que les États-Unis s’emploient à sécuriser leur accès à des technologies et des matières essentielles, au nom de la prospérité économique et de la sécurité nationale.

Le rapatriement n’est pas le seul volet du cadre de cette politique industrielle en évolution, qui gagne du terrain dans les cercles du pouvoir, à Washington, D.C. La production de panneaux solaires, de véhicules électriques, de piles à combustible à hydrogène, de téléphones intelligents, de matériel médical et d’une myriade d’autres produits nécessite des minéraux critiques et des éléments de terres rares. Or, les États-Unis possèdent à peine 1,3 % des réserves mondiales d’éléments de terres rares, contre 38 % pour la Chine et 10 % pour la Russie. Pour garantir l’accès à ces minéraux et à ces éléments, les États-Unis devront donc faire preuve de plus de créativité. Par exemple, ils pourraient extraire ces minéraux en abondance à partir des immenses quantités de résidus miniers et des multiples ressources aquifères du territoire américain.

Le Canada devrait-il être préoccupé par les politiques protectionnistes américaines? L’Inflation Reduction Act pourrait, en effet, détourner vers les États-Unis une partie du capital de risque et de la main-d’œuvre essentiels au développement des technologies propres. Toutefois, les projets mis en oeuvre sur le marché américain ouvriront des débouchés d’exportation et d’investissement, tout au long de la chaîne d’approvisionnement des technologies propres, pour plusieurs fournisseurs canadiens : notamment de matières premières, de composants clés, de technologies critiques, de propriété intellectuelle, ainsi que de services de construction et de planification de projets. Il y aura aussi des occasions pour les entreprises qui ciblent les créneaux où les ressources et les capacités d’innovation canadiennes peuvent aider notre pays à se tailler une place de choix dans un horizon à long terme, et même à gravir un échelon dans la chaîne de valeur, soit dans des secteurs promis à une production mondiale de masse.

Conclusion?

La crise de la COVID-19, les nouvelles tensions géopolitiques et le changement de discours en matière de politiques nationales obligent à repenser de manière fondamentale les réseaux de production et la sécurité de l’approvisionnement. La politique industrielle, ce concept considéré autrefois comme un tabou de l’économie de libre marché, est devenue un élément familier de l’économie postpandémie.

Le Canada, qui possède une économie ouverte et de taille modeste, a de bonnes raisons de s’inquiéter. Malgré tout, grâce aux solides relations bilatérales entre le Canada et les États-Unis, nos activités commerciales sur ce marché devraient rester au beau fixe. Certains exportateurs pourraient même tirer profit des nouvelles sources de la demande. Chose certaine, les entreprises et les décideurs canadiens ont tout intérêt à continuer d’innover pour consolider leur place dans l’économie de demain. 

Nos sincères remerciements à Prince Owusu, économiste principal au Centre d’information économique et politique d’EDC, pour sa contribution à la présente édition. 

Les Services économiques d’EDC vous invitent à leur faire part de vos commentaires. Si vous avez des idées de sujets à nous proposer, n’hésitez pas à nous les communiquer à l’adresse economics@edc.ca et nous ferons de notre mieux pour les traiter dans une édition future du Propos.