Comme si la pandémie n’avait pas causé suffisamment d’épisodes d’insomnie, ces jours-ci, d’autres sujets de préoccupation perturbent le sommeil des exportateurs canadiens. Lors des tables rondes à l’intention des hauts dirigeants organisées cet automne par Exportation et développement Canada (EDC), nous avons invité nos principaux clients à nous faire part de leurs inquiétudes – ce qu’ils ont fait sans détour. Voici la liste des préoccupations dominantes avec lesquelles ces clients et bien d’autres doivent composer, accompagnée de commentaires sur les problématiques en cause et les possibles moyens d’y remédier.
Problématique no 1 : Les contraintes exercées sur les chaînes d’approvisionnement sont incontestablement en tête de liste. De toutes les problématiques mentionnées, c’est celle qui domine puisqu’elle accapare 35 % des échanges. Ce n’est pas surprenant : il y a plus d’une décennie qu’on observe de la congestion du côté du transport maritime et une pénurie de conteneurs, qui sont aujourd’hui aussi rares que de l’or. À cela s’ajoute la difficulté d’obtenir des produits de base particuliers et des biens intermédiaires, notamment des semiconducteurs. Les participants ont fait preuve de franchise dans leur analyse des chaînes d’approvisionnement mondiales, que certains décrivent même comme « totalement chaotiques ».
Comment la situation s’est-elle autant détériorée? Rappelons-nous : il a fallu des décennies pour ajuster les chaînes d’approvisionnement et en faire un système complexe, régler au quart de tour, pouvant servir les régions les plus lointaines de la planète. Les effets diffus de la pandémie sur un marché après l’autre, sans ordre ni séquence particulier, ont déréglé ce système, et son redémarrage a été sans doute désordonné. Les confinements successifs mis en place de façon asynchrone pour contrer cette crise ont grandement accentué le tumulte.
Pour plusieurs, il faudra attendre la mi-2022 pour voir cette confusion se dissiper. Au départ, les capacités en place assuraient le bon déroulement des activités. Or, compte tenu de l’impulsion continue de la croissance et des fondamentaux soutenant la vivacité de la demande pendant encore un moment, la demande pourrait être si forte qu’il pourrait être difficile de suivre la cadence.
Problématique no 2 : Pénurie sur le marché de l’emploi. Dans leurs interventions, pas moins de 20 % des participants ont fait référence à l’accès difficile au marché de l’emploi comme un obstacle majeur, et les solutions à ce problème soulèvent d’intenses débats. Voilà qui n’est pas nouveau : c’était déjà un enjeu de premier plan quand le Conseil consultatif en matière de croissance économique en fait état en 2017. La pandémie nous a donné un peu de répit sur ce front, mais nous devons désormais nous attaquer à un problème davantage de nature structurelle qui pèse sur l’économie. Les solutions possibles ont fait l’objet d’une analyse détaillée dans mon Propos du 21 octobre dernier.
Problématique no 3 : L’inflation – qui monopolise 18 % des échanges – est une autre grande inquiétude qui fait perdre le sommeil aux exportateurs. Les participants n’étaient pas convaincus que les pénuries étaient à l’origine des hausses de prix au-delà des limites acceptables; du reste, ils se montraient angoissés par la perspective de répercuter ces coûts et de la manière de la faire. D’autres ont affirmé que les mentalités avaient changé en si peu de temps, que passer des hausses substantielles de prix n’avait posé aucun problème. Il est devenu manifeste que les entreprises n’ont pas eu à se soucier de l’inflation depuis environ trente ans, mais que les attentes à l’égard des prix évoluent désormais rapidement. Selon les résultats d’un sondage informel que nous avons réalisé à chacun des 14 événements de notre tournée, les participants prévoient l’an prochain que l’inflation des prix à la consommation tournera autour de 3,7 %, soit largement au-dessus des niveaux cibles et supérieur à l’estimation de 3,4 % formulée dans le Rapport sur la politique monétaire de la Banque du Canada. La plupart s’attendent à ce que la situation se stabilise à mesure qu’on trouve une solution aux pénuries, mais ils réalisent aussi que la hausse des prix et la pénurie de main-d’œuvre commencent à pousser les salaires à la hausse, une tendance qui pourrait persister plus longtemps.
Problématique no 4 : Des risques pays particuliers sont souvent évoqués lors de nos discussions, surtout ceux qui touchent l’économie américaine. Un éventail d’autres risques sont aussi mentionnés en fonction du secteur où sont présents les exportateurs et de la nature des défis qu’ils rencontrent.
Problématique no 5 : La volatilité des cours des produits de base, l’incertitude entourant la politique monétaire et les récentes fluctuations de la monnaie contribuent à faire des prédictions sur l’évolution des devises le prochain élément sur la liste. Les craintes d’un supercycle des matières premières sont à l’origine d’inquiétudes à court terme au sujet de la monnaie, alors que l’inflation alimente l’appréhension qu’une augmentation rapide des taux au Canada ne fasse prendre encore plus d’altitude au huard. Voilà l’effet des problèmes temporaires liés à l’approvisionnement. Une fois cette situation réglée, la monnaie devrait se stabiliser. Les délégués avaient l’espoir que nous avions raison, mais n’étaient pas persuadés par notre raisonnement.
D’autres problématiques se trouvent aussi sur la liste, notamment :
- les conséquences directement engendrées par la pandémie;
- les restrictions en matière de voyage;
- l’accès au capital;
- et les inquiétudes à propos de l’avenir du secteur de l’énergie et la manière dont la politique influera sur l’équilibre des investissements dans le secteur.
Conclusion?
La croissance ne figurait pas au rang des sujets de préoccupation. Aucun des participants à nos événements ne s’inquiétait du fait que la croissance pouvait être trop lente ou sur le point de fléchir. Voilà une excellente nouvelle. En vérité, ces problématiques semblaient se focaliser sur un même élément : gérer la croissance fulgurante actuelle.