De nos jours, les observateurs des politiques ont du mal à trouver le sommeil. Et ces temps-ci, il semble bien que nous en soyons tous devenus malgré nous… La cause de cette insomnie collective est simple : l’incertitude liée aux politiques a atteint de nouveaux sommets. Voilà qui est très révélateur compte tenu des moments forts de l’histoire récente ayant été marqués par une grande incertitude : nous pensons ici à la crise économique et financière mondiale de 2008-2009, puis à la crise européenne qui a suivi en 2011; aux événements du 11 septembre et aux guerres du Golfe; à la crise financière asiatique de 1998; aux récessions, aux crises pétrolières, aux conflits dans diverses zones et, enfin, à la grande crise. Par rapport à ces événements très perturbateurs, l’incertitude actuelle exprimée par des indicateurs semble encore plus vive. Mais quelle forme prend cette incertitude et quelles sont ses conséquences pour les exportateurs?
Selon les indicateurs récents, le populisme suit une rapide tendance ascendante depuis 1998. Pour preuve : au cours des 20 dernières années, l’indice Guardian/Rooduijn index montre une montée du populisme des franges d’extrême-gauche, d’extrême-droite et « autres », ce qui est pour le moins inquiétant. La firme Bridgewater Associates présente une perspective à plus long terme dans une analyse complète et rafraîchissante du populisme moderne. Ce document montre, si on fait abstraction des deux guerres mondiales, que l’incertitude liée au populisme mesuré reste très loin de ce niveau, sauf lors de la grande crise.
Un indicateur plus direct a été créé par les analystes du groupe de recherche Economic Policy Uncertainty (ou l’EPU). L’indice général de l’EPU couvre 18 pays contribuant aux deux tiers du PIB mondial. D’après l’indice, qui mesure le niveau d’incertitude depuis 1997, l’incertitude actuelle entourant les politiques économiques est de loin supérieure à celle enregistrée pendant tout autre épisode durant cet intervalle. En fait, la moyenne pour 2019 est plus du double de la moyenne pour toute la série. De plus, l’analyse des données permet de dégager une tendance : il est clair que l’incertitude s’accroît. Elle se situe à un niveau élevé, ce qui est déplorable, et par-dessus le marché, sa progression semble incontrôlée.
Dans cet indice, ce qui est vrai à l’échelle mondiale l’est aussi, dans une large mesure, pour les grandes économies. En 2019, les niveaux de l’indice pour les États-Unis et l’Europe, soit 45 % et 40 % respectivement, dépassent la moyenne pour la série, où le Royaume-Uni affiche le niveau le plus élevé de 82 % au-dessus de la moyenne historique, ce qui n’est pas une surprise vu le dossier du Brexit. Notons que les plus récents calculs ne tiennent pas compte de la nomination de Boris Johnson au poste de premier ministre, et ses déclarations radicales sur le Brexit. Alors, au Royaume-Uni, il est probable que l’incertitude persiste. Le Japon affiche actuellement un taux moins inquiétant que la note globale, soit une hausse de seulement 16 % par rapport à la moyenne de la série. Cependant, la politique économique japonaise est marquée par une forte incertitude depuis le début des années 1990 : ainsi donc, au pays du Soleil-Levant, le taux de 16 % est plutôt préoccupant.
Le tableau pour les grands marchés émergents couvre les extrêmes. L’Inde se détache du lot, l’incertitude liée à sa politique économique empruntant une tendance descendante. La formation, par Narendra Modi, d’un gouvernement majoritaire pendant deux élections consécutives – un fait rarissime en Inde – a permis la prise de mesures audacieuses et progressistes en matière de politique économique, ce qui semble plaire à l’électorat indien. Sur ce marché, l’incertitude mesurée s’établit à 32 % au-dessus de la moyenne, soit sensiblement en recul.
Le résultat sans doute le plus étonnant de la recherche de l’EPU est le score actuel de la Chine. Dire que les récentes fluctuations sur ce marché témoignent d’une tendance ascendante serait une grave sous-estimation de la réalité. Pour ce qui est de la progression dans l’indice, la Chine fait bande à part à l’échelle du globe : le taux a pratiquement été multiplié par cinq depuis 2014, et en 2019, il est d’environ 300 % supérieur à la moyenne mondiale – soit nettement plus du double de la moyenne internationale. Pour un pays autoritaire présentant une image de force et déterminé à exercer un contrôle serré – et ayant des incitatifs à le faire –, voilà des chiffres un peu déconcertants…à moins qu’ils soient attribués avec succès à des facteurs extérieurs. Le regain des dernières années coïncide avec les éternelles inquiétudes d’un ralentissement en Chine, des troubles du secteur financier chinois, et des tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine. Tout porte à croire que la population chinoise en général suit avec intérêt l’évolution de la situation.
Les nouvelles d’un regain de l’incertitude ne sont pas surprenantes, mais la vitesse à laquelle le changement s’opère et le niveau actuel de l’incertitude mesurée sont, pris globalement, renversants. Il n’est pas étonnant que les investisseurs dans des actifs commerciaux matériels – comme des usines ainsi que de l’équipement et de la machinerie – attendent une conjoncture plus favorable avant de délier les cordons de leur bourse. Il semble que ce soit le cas chez les nations les mieux nanties mais anxieuses de l’Organisation de coopération et de développement économiques (l’OCDE), et aussi de manière plus spectaculaire pour les locomotives économiques sur les marchés émergents.
Conclusion?
Au moment même où nous pensions que les chocs étaient monnaie courante, l’incertitude s’accentue à un niveau alarmant – et les exportations mondiales et l’investissement commercial à l’échelle du globe en font les frais. Seul le temps nous dira si nous pourrons retrouver nos esprits et inverser la tendance.