Le secteur alimentaire occupe à nouveau le devant de la scène du différend qui oppose les deux géants du commerce mondial. Il y a trois semaines, la Chine a riposté à l’escalade des droits de douane imposés par les États-Unis en fermant son marché aux produits alimentaires américains. Le geste de l’administration américaine et la réaction chinoise ont accentué l’instabilité secouant le commerce mondial, et la situation s’est dégradée au cours des jours et des semaines qui ont suivi. Cette évolution du conflit a aussi perturbé l’activité du secteur agroalimentaire et nourri d’intenses spéculations quant à ses possibles retombées. Quelles sont les conséquences des récents développements? Sont-ils synonymes de débouchés pour les exportateurs canadiens?
Pour le secteur agricole, les questions d’accès aux marchés sont généralement les premières à l’ordre du jour des discussions commerciales. La filière a été mise à mal de multiples façons : montée du protectionnisme, imposition de barrières non tarifaires plus subtiles à l’activité commerciale, réglementation, exigence en matière d’emballage et de conditionnement, restrictions phytosanitaires… et la liste continue. Toutefois, il est compliqué pour les acteurs du secteur, une fois sur place, de renoncer à un marché. Les produits alimentaires ont pour la plupart une courte durée de conservation, et dans un monde régi par des systèmes d’approvisionnement juste-à-temps, la fiabilité est un élément crucial : être incapable de livrer une commande importante peut être lourd de conséquences. À l’inverse, le fait de constamment respecter les exigences permet de tisser une relation de dépendance très étroite – relation qu’il est par la suite difficile de changer. Cela vaut pour les fournisseurs sur le marché intérieur et ceux présents sur les marchés mondiaux, même si la prédominance est pratiquement toujours accordée aux fournisseurs nationaux.
Ces enjeux interpellent encore plus les autorités de la Chine, le pays de la planète comptant le plus de bouches à nourrir. Et malgré l’absence de croissance démographique en Chine, chaque année une dizaine de millions de ses habitants voient leur revenu augmenter, ce qui a un effet sur la quantité et la qualité des aliments consommés. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation, la dépendance nette de la Chine envers le reste du monde, pour ce qui est des importations alimentaires, est en forte augmentation. Et pour compliquer les choses, le grand appétit des consommateurs chinois pour la viande de porc risque de ne pas être satisfait cette année en raison de la grippe porcine en Afrique, qui a décimé une bonne partie du cheptel du continent africain.
La Chine est un important importateur net de produits alimentaires. Pour preuve : son déficit par rapport au reste du monde s’élevait à 41 milliards de dollars américains en 2017. Les États-Unis sont le premier fournisseur du marché chinois : leurs expéditions ont totalisé 26 milliards de dollars en 2017; ils sont suivis de près par le Brésil. Les exportations du groupe suivant, dont fait partie le Canada, se situent dans les six et sept milliards de dollars américains. De toute évidence, il sera pratiquement impossible pour la Chine de remplacer les importations américaines du jour au lendemain sans causer de bouleversements majeurs des flux du commerce alimentaire. Malgré tout, soucieuse d’assurer la sécurité de son approvisionnement alimentaire, la Chine prendra rapidement les mesures qui s’imposent.
Et puis il y a un autre volet à considérer : la Chine est le plus important exportateur de produits alimentaires vers le marché américain, devançant de peu le Canada. Le Mexique et le Japon sont également de grands fournisseurs auprès des consommateurs américains. Même si les États-Unis ont diversifié leurs exportations alimentaires, la fermeture des portes du marché chinois est un coup dur pour le secteur. D’ailleurs, on voit mal comment les États-Unis pourraient dans l’immédiat trouver des marchés de remplacement.
Le dédale que constitue la question de la propriété étrangère vient aussi compliquer la donne. Pour maintenir un approvisionnement constant auprès des marchés mondiaux, les sociétés chinoises ont investi dans des installations de production alimentaire à l’étranger. Ainsi, ces sociétés ont fait des investissements substantiels sur le marché américain – des entités aujourd’hui visées par la nouvelle interdiction visant les importations alimentaires. Manifestement, cette situation met en péril ces entités et leurs chaînes d’approvisionnement. Et pour compliquer les choses, le grand appétit des consommateurs chinois pour la viande de porc risque de ne pas être satisfait cette année en raison de la grippe porcine en Chine, qui a décimé une bonne partie du cheptel du continent asiatique.
Il n’existe pas de solutions faciles. Les États-Unis sont le premier exportateur mondial de produits alimentaires et la Chine le principal importateur auprès du marché américain. Chez plusieurs des grands exportateurs de produits alimentaires – tout particulièrement les pays européens –, le volume des importations est presque égal à celui des exportations. Il existe une poignée d’exportateurs nets de l’ampleur du Brésil. La plupart des autres membres de ce groupe, comme le Canada, sont des acteurs de moindre envergure. « Voilà un beau problème qui mobilisera toute notre matière grise »*, nous disaient Gilbert et Sullivan. La résolution de cette situation exigera des efforts considérables et somme toute superflus.
Le contexte actuel est déstabilisant, mais il présente des possibilités. Le risque d’une perturbation de l’approvisionnement alimentaire s’accompagne nécessairement d’une volonté de diversifier en toute urgence les sources d’approvisionnement. Les acheteurs affolés cherchent à tisser de nouvelles relations. Les fournisseurs qui répondent rapidement à l’appel et se démarquent par leur fiabilité ont accès à de nouveaux débouchés lucratifs et durables. Et pour satisfaire à cette demande, ces fournisseurs devront sans doute augmenter considérablement leur production.
Conclusion?
C’est fait : la Chine a fermé son marché aux produits agricoles américains. Cette fermeture, quoique passagère, aura des répercussions ponctuelles et permanentes sur le marché. Pour les exportateurs canadiens de la filière agricole, il est capital de suivre de très près l’évolution de ce dossier.