Selon toute vraisemblance, le Vendredi fou s’est à nouveau révélé un énorme succès pour l’économie américaine. Toute économie accueillerait à bras ouverts une telle effervescence, mais lorsqu’il s’agit de la première économie de la planète et le champion de la croissance, tout le monde en profite – au moins à court terme. Aux États-Unis, nous avons observé à plusieurs reprises ces épisodes de fièvre de la consommation, seulement pour les regretter par la suite quand la bulle a éclaté – à cet égard, 2008 est un exemple classique. Sommes-nous en présence d’un scénario de ce genre ou bien cette activité sera-t-elle durable?

La vigueur récente de la consommation américaine n’est pas une anomalie. Pour preuve : les dépenses réelles augmentent au taux annuel de 4 %,  et rien n’indique que cet élan s’essoufflera au quatrième trimestre. On constate la même dynamique du côté des ventes au détail : la croissance annuelle des ventes hors du secteur automobile s’établit à plus de 6 %, et malgré une certaine stagnation des ventes de véhicules, la performance générale est respectable. Le consommateur pèse pour 68 % du PIB, une contribution supérieure à la plupart des nations de l’OCDE; c’est là une bonne nouvelle pour la croissance économique globale. Jusqu’ici, les chiffres semblent excellents. 

Très forte croissance de l’emploi

Qu’est-ce qui contribue à la vigueur des dépenses de consommation? La croissance de l’emploi compte parmi les facteurs dominants. Aux États-Unis, les chiffres de l’emploi sont depuis huit ans sur une lancée impressionnante, et rien ne semble annoncer que ce bel élan se ralentira. La croissance des salaires a été modérée pendant la majeure partie du présent cycle, mais ces deux dernières années elle a augmenté au point où la croissance en glissement annuel a atteint un sommet cyclique qui avoisine 2,8 %. Grâce à l’effet combiné de ces deux éléments, les consommateurs dépensent plus que pendant la plupart des périodes de pointe des dix dernières années. Encore une fois, la conjoncture semble tout à fait favorable.

Cet élan peut-il se maintenir?

De plus en plus, les experts s’interrogent sur la viabilité de ce contexte. Les entreprises se plaignent d’une pénurie d’employés qualifiés, qui se transforme aujourd’hui en doléances au sujet de la disponibilité des travailleurs réguliers. Le taux de chômage semble confirmer cette situation : il s’établit à un creux historique, soit à 3,7 % pour un deuxième mois consécutif. En fait, ce taux est bien inférieur à ce que les économistes estiment viable; ce taux se situerait plutôt dans la tranche de 4,5 à 5 %, mais il est en cours de révision. Et que dire du nombre de personnes présentant chaque semaine une demande d’assurance chômage? Ce chiffre est également incroyablement bas; il est en constante diminution depuis 2009 et a atteint aujourd’hui la barre des 200 000. Ces signes se manifestent d’habitude en fin de cycle – alors, la fête est-elle sur le point de se terminer?

Le resserrement extrême des indicateurs habituels ne prend pas en compte un élément déterminant. Le taux d’activité (soit le taux de participation au marché du travail) est extrêmement faible au cours du présent cycle, ce qui est sans aucun doute attribuable à la gravité de la grande récession et à la croissance léthargique pendant les années qui ont suivi. Des millions de travailleurs se sont retrouvés sur la touche, ce qui a eu un effet sur les chiffres jusqu’en 2016. À ce moment, en l’absence d’un changement de politique ou de la mise en place d’un nouveau programme, le resserrement du marché du travail a entraîné le retour des travailleurs désabusés. Depuis, plus d’un million de jeunes travailleurs ont décroché leur premier véritable emploi, et après une longue pause, les personnes en milieu de carrière font aussi un retour en force. Et le plus beau, c’est que des millions d’autres, de tous les âges, attendent de saisir leur chance… Cette situation pourrait perdurer pendant un certain temps, ce qui procurera au marché du travail la capacité nécessaire pour croître. 

La dette et les taux d’intérêt : des trouble-fêtes?

Les pessimistes font valoir que deux éléments pourraient assombrir le tableau. Et si quelque chose venait perturber cette dynamique, mettre à mal la confiance des consommateurs et entraver cet élan? Les consommateurs sont-ils si endettés que le moindre pépin pourrait être problématique? À vrai dire, le niveau de la dette au revenu est en constant déclin depuis la récession – sur ce front, il semble que les consommateurs américains aient tiré la dure leçon du passé et fassent preuve de prudence. À cela s’ajoute l’augmentation du niveau d’épargne par rapport au revenu disponible. Lors de la bulle de la fin du dernier cycle, le taux d’épargne était de 3,5 %; il est aujourd’hui de près du double de ce taux. Aucune crise de la dette ne semble se dessiner à l’horizon.

Que dire des taux d’intérêt? Grâce à l’amélioration des paramètres de la dette, la récente hausse des taux hypothécaires et du crédit à la consommation ne sera pas aussi pénible. Il ne faut pas oublier que nous sommes sur le point de sortir d’une très longue période de taux incroyablement faibles, si bien que toute normalisation pourrait être éprouvante pour beaucoup de monde. Pourtant, ce n’est pas le cas jusqu’ici : l'optimisme des consommateurs atteint toujours des pics quasiment impensables, et ce, en dépit du relèvement des taux d’intérêts américains qui s’opèrent depuis plus de 30 mois – un intervalle suffisant pour provoquer une réaction. Les consommateurs semblent vraiment avoir le vent dans les voiles.

Conclusion?

Les consommateurs les plus dépensiers de la planète sont de plus en plus nombreux à occuper un emploi et à demander des salaires plus élevés. Ils font preuve d’assurance, épargnent avec plus de prudence et sont très actifs du côté des achats. Ils ont la capacité de maintenir cette cadence pendant encore un bon moment. Alors que les disputes commerciales en rendent certains nerveux, les consommateurs américains semblent imperturbables et prêts à dépenser. Nous pouvons seulement leur dire merci… et profiter de cette fièvre de la consommation.