Mettre à l’arrêt l’économie est un processus très douloureux, mais bref. Selon cette logique, ne devrait-on pas s’attendre à un redémarrage rapide et en douceur de l’activité économique? La plupart des gens pensent que cette « remise en marche » ne pose aucun défi particulier, mais les médias nous révèlent que ce n’est pas aussi simple. Y a-t-il un problème ou bien un redémarrage mouvementé est-il dans l’ordre des choses?

À l'échelle mondiale, le consommateur était sur une lancée qui promettait d'être longue. Les confinements de mars et d’avril 2020 ont plombé les ventes, qui ont cependant fait un retour en force en juin. En tant que  mesure de la vigueur de la demande, cet indicateur est sans doute le plus rassurant. Après tout, les consommateurs contribuent à hauteur d'environ 60 % du produit national brut (PIB), voire 70 % dans le cas du consommateur américain. Plus récemment, ce dynamisme a été mis à mal. Est-ce la faute de la demande? Pas vraiment. Les récents replis sur le front des ventes coïncident avec la prise de mesures visant un confinement, partiel ou total. De plus, les restrictions ayant limité les options d'achat, les consommateurs se sont trouvés à engranger de belles économies. Si des obstacles compliquent le redémarrage de l’économie, la demande ne semble pas en cause.

Ce n’est pas le cas de l'offre puisqu’on fait de plus en plus état de pénuries. Par exemple, le cours du cuivre s'est emballé, ce qui a soulevé beaucoup d'inquiétude : ce métal de première importance est, en effet, un baromètre digne de confiance de l'évolution d'autres facteurs. Eh bien, ces facteurs ont à leur tour emboîté le pas; depuis, on constate une offre très serrée du côté des matériaux de construction, et ce, bien avant la saison de la construction. Les constructeurs automobiles profitent d'une poussée des ventes, mais ils font face à une pénurie de puces électroniques utilisées dans les véhicules. Conséquence : la production est pénalisée alors même qu'en Amérique du Nord les stocks de véhicules sont en forte chute. Et malgré l'abondance de l’offre pétrolière avant la pandémie, les restrictions opportunes touchant l'offre ont fait grimper les cours à des niveaux difficiles à imaginer il y a un an à peine.

Cette situation ne manque pas d'alimenter les conversations. Ces jours-ci, lors de mes conférences, les participants me posent souvent des questions sur l'inflation. Les tensions exercées sur les prix n'étant pas prises en compte dans les chiffres de l'indice des prix à la consommation (IPC) et de l'indice des prix à la production (IPP), il n'y a donc aucun sentiment d'urgence. Par ailleurs, les banques centrales ont la tâche de gérer les attentes et de rassurer la population à propos d'une évolution correcte des prix, ce qu'elles feront à terme. Or, sur le marché américain, les prix des producteurs connaissent une embellie sur une base mensuelle. De janvier à mars, ces prix sont en hausse de 12 % par rapport aux taux annuels. Cette augmentation a porté  la croissance d'une année sur l'autre bien au-delà du seuil de 2 %, soit à 4,3 %, un sommet depuis 2011. Même s'il représente une faible part des coûts finaux, l'impact de cette hausse sur les coûts finaux est une possibilité à court terme, du moins temporairement.

Si l'offre est effectivement serrée, alors comment se portent les chaînes d'approvisionnement? Les données provenant de l'indice des directeurs d'achat (le PMI) fournissent des indications préliminaires à ce sujet. L'enquête précise, pour les différents pays, le prix des intrants payés par les producteurs, les délais de livraison et les retards d'expédition des biens manufacturés. Alors, que nous dit l'enquête PMI?

L’Institut de finances internationales (l’IIF) a étudié ces trois éléments et classé la performance des pays en fonction de leur propre performance passée. Sur le front des livraisons des fournisseurs, l’économie américaine et les grandes économies européennes sont les plus touchées. Pour sa part, le Canada se situe à l’autre bout du spectre des économies développées, mais les principaux marchés émergents ont réussi à surmonter le retard accumulé bien avant les autres pays. Fait à noter, le Canada se situe dans la moyenne en ce qui a trait aux changements touchant le prix des intrants.

Voilà pour les indicateurs relatifs. Comment ce tableau se compare-t-il en termes absolus aux perturbations ayant affecté par le passé les chaînes d’approvisionnement mondiales? Encore une fois, selon l’enquête menée par l’IFF, il est équivalent des premiers bouleversements causés par la pandémie et la catastrophe de Fukushima, et ses répercussions sont nettement plus importantes que les perturbations du pic pétrolier de 2008. Ce n’est pas là une bonne nouvelle. Si c’est le cas, combien de temps cela durera-t-il?

En théorie, ce sera de courte durée. Après tout, la capacité était suffisante avant la pandémie, et la plupart des secteurs disposent en moyenne d’une capacité toujours inférieure à celles des niveaux d'avant la pandémie. Il s’agirait donc de renforcer la capacité, c’est qui est simple en théorie, mais plus ardu à réaliser. Concrètement, quels facteurs faut-il considérer?

Le premier facteur est la main-d’œuvre. Alors que la pandémie sévit toujours, personne n’est vraiment enthousiaste à l’idée de se retrouver à proximité d’autres travailleurs, que ce soit à la mine, à l’usine ou dans un bureau. On observe aussi un déclin des compétences dans les secteurs les plus malmenés. Le deuxième facteur est l’absence d’interaction « en personne » et ses effets sur les activités commerciales, notamment les investissements majeurs, les fusions, les acquisitions et les nouvelles installations, ainsi que l’établissement de relations de confiance. Les chefs d’entreprise pourraient se montrer hésitants à se lancer les premiers dans un contexte de confinements répétés. Par ailleurs, l’énergie à consacrer au redémarrage sera sans doute inversement proportionnelle à la durée totale de l’arrêt des activités – qui, on le sait, perdure depuis un bon moment. Enfin, dernier facteur, pour que cela fonctionne il faudra éliminer les principaux obstacles auxquels se heurte le secteur mondial des expéditions.

Conclusion?

Le redémarrage de l’activité n’est pas aussi simple que prévu. Il y a fort à parier que les exploitants audacieux ayant misé sur ce moment magique profiteront d’une position avantageuse. Pourtant, la plupart ont, comme c’est souvent le cas, été pris au dépourvu par la situation ou sont blasés par l’alternance des mesures de confinement et de déconfinement. Le principal défi sera probablement de changer notre perception voulant que le redémarrage se fasse le plus facilement du monde…