Dans la plus récente édition de ses Perspectives économiques mondiales, les Services économiques d’EDC ont révisé leurs prévisions de croissance de l’économie mondiale à 4,8 % cette année et à 4,3 % en 2023. Voilà qui n’est pas si mal. Les données économiques, semble-t-il, sont parvenues à évoluer différemment des données sur la pandémie. Toutefois, la vigueur de l’économie mondiale est la source des nombreuses contrariétés observées aujourd’hui, notamment les perturbations touchant les chaînes d’approvisionnement. 

La cause, du moins en partie, ne se trouve pas du côté des chaînes d’approvisionnement, mais plutôt des processus de fabrication adoptés par les entreprises cherchant à accroître leur productivité. Ces processus soumis aux impératifs du « juste-à-temps », concept popularisé par Toyota, ont été mis au point avec en tête un réseau de fournisseurs entretenant des liens étroits et se trouvant à proximité sur le plan géographique. Or, les chaînes d’approvisionnement complexes éloignées les unes des autres qui définissent notre économie mondialisée ne sont pas conçues pour résister à de graves bouleversements, ce qui pourrait expliquer le contexte actuel.

Quand la pandémie a frappé, la production s’est effondrée de manière intentionnelle alors que les producteurs ont radicalement revu à la baisse les prévisions pour leurs ventes, et d’une façon inopinée, lorsque les mesures sanitaires ont obligé les travailleurs à rester chez eux. Pendant un bref moment, tout cela a semblé logique. Pourtant, du jour au lendemain, les gouvernements ont mis en place des programmes coordonnés de relance publics d’une ampleur sans précédent. Les taux d’intérêt ont été abaissés tandis que les banques centrales alourdissaient leur bilan et les gouvernements déployaient d’imposants programmes de relance.

Lors du confinement, les consommateurs disposaient d’options d’achat limitées. Les consommateurs ont donc annulé leurs projets de vacances, renoncé aux sorties au resto et cessé de faire la navette entre leur lieu de travail et leur domicile. L’argent utilisé pour les loisirs, l’hébergement ou le transport a été, soit mis de côté pour les mauvais jours, soit affecté aux commandes de produits ou services en ligne. Les consommateurs ont changé la nature des biens qu’ils achètent et la manière de se les procurer. Nous sommes nombreux à avoir utilisé notre budget voyage pour la construction d’un nouveau patio de jardin; ou bien notre budget pour le transport au bureau pour se doter d’un ordinateur plus performant.

La consommation est passée de zéro à 100 km/h en un court laps de temps; les fournisseurs de biens ont été incapables de suivre. Les effets de cet incroyable regain de la consommation ont entraîné des répercussions considérables en amont. La capacité des marchés des matières premières a été poussée au-delà de leurs limites. Il suffit de penser au pétrole et au gaz naturel de même qu’aux principaux métaux comme le cuivre utilisé pour fabriquer les batteries de véhicules électriques. Quelles ont été les conséquences d’une pénurie de ces matières pour leurs usines où l’on assemble ces composantes essentielles? Quels ont été les effets sur les biens intermédiaires entrant dans la fabrication des biens finaux que nous consommons à un rythme sans cesse plus rapide?

La fermeture de certaines usines dans des régions clés de l’Asie du Sud-Est n’a pas arrangé les choses. C’est là un exemple où une politique du type zéro COVID peut se révéler perturbatrice et inefficace. Résultat : le délai moyen de livraison des puces électroniques a plus que doublé, passant d’environ 13 semaines avant la pandémie à près de 26 semaines en moyenne aujourd’hui. Ce délai est encore plus long pour les puces issues de technologies de pointe, comme les microcontrôleurs, qui sont absolument nécessaires à la construction des véhicules.


En plus de ces déséquilibres sur le front de l’offre et de la demande, le secteur maritime mondial peinait à garder le rythme alors que son activité s’accélérait. La pénurie de conteneurs et de navires, ainsi que les contraintes de capacités dans les installations portuaires exercent des tensions sur le secteur. On connaît la suite : des ports congestionnés, des retards de livraison et des délais dix fois plus élevés que d’habitude. Et des événements comme le blocage du canal de Suez et les inondations en Colombie-Britannique ont aussi compliqué les choses.

Ce genre de conjoncture relance d’ordinaire le débat autour des principaux mécanismes de la mondialisation, souvent qualifiés par les termes de « relocalisation » ou de « relocalisation à l’échelle régionale ». Nous croyons que la quête d’un profit maximum dans une économie de marché fait de la mondialisation une nécessité à long terme, et le mouvement de la mondialisation ne devrait pas s’inverser, à moins de changements structurels majeurs aux paradigmes du commerce international. Tant et aussi longtemps qu’il est profitable pour des entreprises d’opter pour des facteurs de production au plus bas coût, d’autres suivront dans cette voie. Par ailleurs, améliorer des structures de production complexes exige du temps, des ressources financières, et pourrait ne pas donner les meilleurs résultats. 

Bien que notre rôle ne soit pas de formuler des prévisions fondées des données épidémiologiques, nous estimons qu’avec l’assouplissement des restrictions, le retour des voyages, des événements sportifs et des sorties au pub, une partie des sommes que les consommateurs réservent pour des biens durables serviront à renouer avec ces expériences, ce qui atténuera les tensions sur la demande. De surcroît, les fermetures d’usines causées des éclosions étant moins nombreuses du côté des chaînes d’approvisionnement, les contraintes subies par l’offre devraient diminuer. 

Dans l’intervalle, nous nous attendons à des répercussions plus nuancées sur le commerce international, notamment une réévaluation des secteurs soi-disant stratégiques, auxquels s’ajouteront les fournitures médicales, l’infrastructure commerciale et les technologies industries d’une importance capitale. Les entreprises ont aussi un rôle à jouer. Elles opéreront la transition du « juste-à-temps » au « stocks-juste-au-cas-où » et exploreront de multiples sources de matériels qui augmenteront la résilience des chaînes d’approvisionnement. Les investissements dans les entrepôts et les technologies connexes contribueront aussi à dynamiser la croissance et la productivité.

Conclusion?

Les annonces de la fin de la mondialisation versent à nouveau dans l’exagération. À vrai dire, les bouleversements actuels inspireront la mise en place d’un nouveau type de gestion des chaînes d’approvisionnement, qui se démarquera par une productivité accrue et une plus grande résilience.