« On y sera quand? » Ce refrain, d’habitude entonné par des enfants lors d’un long voyage en voiture, est en train de devenir celui d’un monde attendant la fin de la pandémie. Et ce refrain devient de plus en plus insistant à mesure que le temps passe. Le problème, ici, c’est que ni la personne au volant ni celle chargée de la navigation ne connaissent la réponse à cette question. À ce jour, les « oasis » aperçues au passage n’ont été que mirages; et bientôt, il faudra faire le plein alors même que les stations d’essence se font plus rares. Comment l’économie canadienne se porte-t-elle en temps de pandémie? La conjoncture est-elle sur le point de s’améliorer?
Dans l’ensemble, l’économie canadienne a regagné 81 % du terrain perdu lors du plongeon initial, ce qui nous ramène à 97 % des niveaux de production d’avant la crise. Le rebond a eu lieu surtout en mai et en juin 2020; depuis, la croissance a ralenti de moitié. À ce rythme, le mois prochain, l’économie devrait finalement renouer avec son niveau d’activité d’avant la pandémie, ce qui n’est pas rien. En tout, il aura fallu 14 mois pour atteindre ce niveau, qui est bien inférieur à celui que nous aurions connu si la croissance avait poursuivi sur sa lancée.
Cette timide croissance est déplorable, mais souvenons-nous du contexte : au vu de la gouvernance erratique de la pandémie, on peut s’étonner que l’économie n’ait pas suivi la même dynamique « de deux pas en avant, puis un pas en arrière ». Cela pourrait se produire lors de la publication des chiffres du produit intérieur brut (PIB) de janvier. Pourtant, la vaccination généralisée étant sur le point de débuter, nous avons des motifs valables d’espérer au second semestre une reprise de l’activité dans l’industrie du voyage et des secteurs connexes, et un retour convaincant vers le niveau où l’économie aurait dû se trouver.
En matière de résilience, les consommateurs ont été remarquables. À la fin de 2020, l’ensemble de leurs dépenses sur les biens était revenu à 95 % des niveaux d’avant la pandémie. La tenue du secteur des services n’a pas été aussi brillante – n’ont pas en raison de la demande, mais de l’impossibilité d’aller au resto; d’assister à des concerts et à des événements sportifs; ou encore de partir en vacances à l’étranger et de profiter d’autres services du genre. Télétravail oblige, nous dépensons moins en essence et en transport public. Les secteurs du détail et du commerce de gros font nettement mieux qu’avant la crise et continuent de croître; d’ailleurs, leur élan ne serait pas près de s’essouffler. Les consommateurs n’étant pas en mesure de se procurer certains biens et services au cours des derniers mois, ils ont mis ces fonds dans leur épargne. Ainsi, ils disposeraient de liquidités équivalant à 11 % du PIB, qu’ils seraient prêts à dépenser si la situation s’améliore.
Les secteurs du détail et du commerce de gros ne font pas cavalier seul; d’autres filières ont dépassé leur niveau d’avant la pandémie et se portent bien. Par exemple, les produits du bois, les plastiques, les produits chimiques, les aliments et boissons de même que les denrées agricoles de base sont autant de secteurs qui reprennent rapidement du mieux et prospèrent. Le secteur des services n’est pas en reste : les services financiers et d’assurance ont le vent dans les voiles, tout comme celui de l’immobilier; l’administration publique, pour sa part, a été peu touchée.
Ces secteurs constituent une minorité : 29 des 39 secteurs – soit 74 % des catégories d’industrie représentant 55 % du PIB – sont toujours sur la voie de la reprise. Le secteur des arts et du divertissement a été mis à mal; aujourd’hui, il n’est plus que l’ombre de lui-même. Les services d’hébergement et de restauration ont doublé leurs résultats dans le contexte de la pandémie, mais leur niveau d’activité demeure à 60 % de ce qu’il était avant la crise. Pas moins de huit secteurs se situent toujours à un niveau d’activité d’au moins 10 % inférieur à celui d’avant la pandémie, ce qui est un résultat beaucoup plus inquiétant que celui observé lors d’une récession standard.
Que nous réserve l’avenir? La bonne nouvelle est que si la récente diminution des nouveaux cas d’infections se poursuit, si la distribution généralisée des vaccins donne les résultats escomptés et si une certaine immunité de groupe s’installe, les secteurs toujours éprouvés seraient promis à des jours meilleurs. Avec leur retour en force, plus de gens constateront que voyager en avion ou en autobus et même partir sur un navire de croisière n’est pas plus risqué qu’avant. Et le plus beau, c’est que les consommateurs pourront de nouveau voyager grâce aux fonds mis en réserve pendant la crise. Curieusement, chaque fois que ce scénario est sur le point de se concrétiser, il y a une remontée du cours des actions dans les secteurs en difficulté…
Conclusion?
À toutes les personnes impatientes d’arriver à destination, je vous dis : « soyez prêtes ». Le trajet a été long et difficile, mais la meilleure partie du voyage est à venir. La prochaine station d’essence est encore à bonne distance, et je me suis laissé dire qu’on y distribue gratuitement des doses de gaz hilarant… Voilà qui aidera des secteurs bien involontairement à la traîne à rattraper les industries ayant rapidement remonté la pente. Est-ce trop beau pour être vrai? Rappelons-nous : nous avons cultivé – bien à tort – le même cynisme au lendemain de la crise du SRAS, un virus contre lequel il n’existe toujours pas de vaccin!