La confiance, il est difficile de s’en passer. Elle est un élément essentiel de tout système économique, financier, politique et social. Quand elle est présente, son action est discrète, presque imperceptible, à tel point qu’on la tient généralement pour acquise. Lorsque la confiance est contrariée, on s’en rend compte sur-le-champ, car cette situation annonce invariablement des difficultés économiques. Ces temps-ci, les médias nous parlent beaucoup de ralentissement de la croissance et d’incertitude politique. Mais, au fait, que nous disent les indicateurs de la confiance?
Dans une certaine mesure, ça dépend à qui vous posez la question. Les consommateurs ont parfois un point de vue bien différent de celui des entreprises. Les consommateurs se préoccupent surtout du contexte actuel. Ils sont de belle humeur et dépensent : à leurs yeux, la croissance de l’emploi est dynamique, les salaires progressent à un rythme respectable et aucun nuage ne se profile dans un avenir immédiat. Les entreprises ont une perspective à plus long terme. Et pour cause : elles jouent gros en investissant dans des installations et de la machinerie, le genre d’investissements qui nécessitent des conditions stables pendant un intervalle d’au moins cinq ans.
En observant le consommateur américain, il nous faudrait conclure que tout est beau fixe. La confiance sur ce marché a sans doute glissé au cours des deux derniers trimestres – suffisamment pour alimenter la chronique d’un alarmiste passager –, mais le niveau des deux principaux indices reste près des pics cycliques. Voilà qui n'est pas une surprise : le marché du travail n’a jamais été aussi serré depuis la grande récession, et les gains du côté de l’emploi grimpent à un rythme respectable chaque mois. En réaction à ces conditions, les salaires s’orientent constamment à la hausse.
La perspective des entreprises américaines est nettement différente. La perception générale des manufacturiers dans un horizon de six mois est passée en territoire négatif en août, pour la première fois depuis la fin de 2015. Les nouvelles commandes ont aussi plongé dans le rouge; elles ont atteint ce faible niveau une seule fois depuis la grande récession. La trajectoire est résolument à la baisse, et rien ne permet de croire qu’il y aura un redressement à court terme. La production s’ajuste en conséquence. Résultat : les sombres perspectives et les commandes en berne ralentissent l’activité des usines.
La situation est-elle identique en Europe? Sur le vieux continent, l’évolution de la confiance des consommateurs n’est pas la même qu’aux États-Unis. En effet, la confiance du consommateur européen s’est sensiblement émoussée en 2018. Depuis, elle s’est un peu raffermie, avec en toile de fond une diminution soutenue du taux de chômage dans les 19 pays de la zone euro, un taux qui s’établit au creux cyclique de 7,4 %. La conjoncture est peut-être favorable, mais les Européens entrevoient l’avenir différemment.
Il est possible qu’ils connaissent mieux le tableau général de la croissance sur leur marché, ou encore qu’ils soient plus près de leurs entreprises. L’Europe réunit des économies fortement axées sur le commerce; on peut donc lui pardonner d’être plus sensible aux fluctuations extérieures. Naturellement, lorsque des locomotives comme l’Allemagne ralentissent la cadence, les nouvelles économiques ne sont pas excellentes, ce que confirme l’indice de la confiance commerciale. Depuis le début de 2018, il semble en chute libre. Par ailleurs, la confiance industrielle est à son plus bas niveau depuis 2012, les commandes générales et les commandes à l’exportation se comportant d'une manière très semblable. Le secteur des services, d’ordinaire plus résilient, emprunte aussi une trajectoire descendante. Le secteur de la construction est plus optimiste, mais il est généralement plus lent à réagir puisque bon nombre de projets s’accompagnent de longs délais d’exécution. En dépit de la morosité des consommateurs, les détaillants européens ont un point de vue plus positif, ce qui est un peu surprenant.
Ici, au Canada, notre perspective colle davantage à la perspective américaine qu’à la perspective européenne : l’optimisme des consommateurs contraste avec la nervosité des entreprises. Quel bilan devons-nous tirer? L’érosion de la confiance n’est pas forcément le présage d’une croissance économique moins robuste. Les entreprises sondées citent sans détour les tensions mondiales comme un important facteur responsable de leur humeur maussade, et ce facteur figure aussi parmi les préoccupations des consommateurs. Ce constat nous révèle encore une fois ce qui pourrait être accompli par une résolution rapide de l’impasse dans les grands dossiers commerciaux de la planète, et nous rappelle que le ralentissement actuel n’est nullement une fatalité.
Conclusion?
Même si la confiance semble vaciller par moments, une grande partie des consommateurs parmi les mieux nantis de la planète demeurent optimistes. Ils pourraient bien à leur tour grossir les rangs des pessimistes, mais pour l’heure ils continueront sans doute à dépenser comme à l’habitude. Pour leur part, les entreprises voient le ciel s’assombrir et il est probable qu’elles ne délient pas les cordons de leur bourse. Si elles le faisaient, elles s’exposeraient à trop de risques en raison du manque de clarté au sujet de l’évolution du contexte commercial. Chose certaine, les indicateurs de la confiance se trouvent à un tournant déterminant, ce qui accentue la pression sur une poignée de décideurs. Le feuilleton continue.