Ces dix dernières années, l’ingénieur Ben Sparrow a passé de nombreuses soirées et fins de semaine à pratiquer son « passe-temps » dans son appartement de l’est de Vancouver : trouver une façon de produire de l’énergie renouvelable à bas coût en mélangeant de l’eau de mer et de l’eau douce.
Même s’il n’y est jamais arrivé, ses recherches ont porté des fruits, car il a trouvé une méthode écologique et économique pour traiter les eaux usées, laquelle pourrait permettre aux entreprises d’économiser des milliards de dollars.
« À l’origine, je voulais produire de l’électricité par le mélange de l’eau d’une rivière à l’eau de mer dans un estuaire, explique M. Sparrow. La machine que j’avais construite chez moi produisait de l’énergie, mais inefficacement. Je l’ai donc modifiée pour qu’elle dessale l’eau de mer en utilisant 80 % moins d’électricité que la méthode conventionnelle. »
Aujourd’hui, M. Sparrow et Joshua Zoshi, cofondateur, dirigent Saltworks Technologies Inc., une entreprise de 55 employés établie à Vancouver dont les ventes à l’exportation se chiffrent en dizaines de millions de dollars. Parmi ses actionnaires, on trouve des acteurs importants des industries pétrolière, gazière et minière, dont BP PLC, ConocoPhillips et les entreprises canadiennes Cenovus et Teck Resources.
Selon M. Sparrow, ces actionnaires sont « un avantage considérable pour Saltworks ». « Nous avons conçu nos produits en collaboration avec nos actionnaires, alors ils répondent vraiment aux besoins de l’industrie, explique-t-il. Les actionnaires ont été nos premiers clients, car nos produits concordaient avec leurs stratégies à long terme. »
Autre atout pour l’entreprise, ses actionnaires utilisent les produits Saltworks aux États-Unis et en Australie. « Que nos produits soient utilisés à l’étranger est bon pour notre réputation, car cela prouve qu’ils ont été spécifiquement conçus pour les entreprises », affirme M. Sparrow.
Les procédés qu’il a inventés et perfectionnés – pour lesquels il a déposé plus de 40 demandes de brevets – attirent l’attention partout dans le monde, notamment celle de l’influent magazine The Economist. Un article publié en octobre 2009 aborde l’aspect le plus novateur du procédé de Saltworks : au lieu de nécessiter une grande quantité d’électricité ou de produits chimiques, il utilise des sources d’énergie peu coûteuses – la chaleur solaire et l’énergie thermique à basse température – captées par des tuyaux et des bassins en plastique noir.
Alors que l’industrie du dessalement – dont le chiffre d’affaires mondial est estimé à 16,6 milliards de dollars américains cette année – se concentre sur la production d’eau potable, Saltworks a choisi de se démarquer. L’entreprise traite en effet les eaux usées problématiques, notamment celles produites par l’exploitation pétrolière et gazière, l’ammoniaque, la fracturation hydraulique du schiste, l’eau d’exhaure de mines et de roche acide et le lixiviat des sites d’enfouissement.
« Nous traitons actuellement les eaux usées les plus complexes de l’industrie, celles qui coûtent le plus cher », affirme M. Sparrow. Ce domaine d’activités est beaucoup plus rentable que la production d’eau potable.
« Avant, les usines pouvaient envoyer leurs eaux usées dans les égouts et laisser la station de traitement d’eau municipale s’en charger, ou les transporter par camion pour ensuite s’en débarrasser dans un puits profond, explique M. Sparrow. Depuis, des régimes de réglementation aux États-Unis, en Australie et en Chine – les marchés les plus importants de Saltworks – obligent les entreprises à traiter leurs eaux usées sur place. Les contaminants sont ainsi transformés en matière solide pouvant être éliminée en toute sécurité. »
Paradoxalement, Saltworks a commencé à exporter sa technologie parce que la réglementation canadienne sur le traitement des eaux usées a énormément de retard sur celles des autres pays, ajoute M. Sparrow.
« Le Canada est un petit marché, et je préfère aussi toucher des dollars américains. Mais en tant que Canadien qui se soucie de l’environnement, j’espère qu’un jour, le Canada deviendra une référence en matière de protection de l’eau douce. Ce n’est pas encore le cas. »
Cinq questions pour Ben Sparrow, cofondateur de Saltworks
Quelle a été votre première vente à l’exportation?
Nous avons vendu de l’équipement à la NASA pour des tests au sol et possiblement une mission sur la Station spatiale internationale. Il s’agissait d’un système de recyclage de l’eau pour un voyage dans l’espace lointain, comme une mission sur Mars. Le système doit d’abord passer une batterie de tests, puis il se retrouvera peut-être un jour à bord d’une fusée. Sur Terre, notre technologie sert aux industries minière et pétrolière.
Comment cette première possibilité d’exportation s’est-elle présentée?
Nous avons tout simplement répondu à un appel d’offres international. Nous estimions très utile de nous mesurer à nos plus importants concurrents. Comme j’ai été lutteur de calibre national, je n’hésite jamais à monter sur le ring. On apprend parfois plus dans la défaite que dans la victoire.
Que connaissez-vous aujourd’hui de l’exportation que vous auriez aimé savoir à vos débuts?
Il faut se renseigner sur la réglementation fiscale étrangère, qui varie notamment selon les états aux États-Unis. Certains imposent une taxe forfaitaire proportionnelle à la taille de l’entreprise. Il faut alors inclure ce montant dans les soumissions.
Comment le commerce a-t-il évolué depuis que vous vous êtes lancé en affaires?
La différence entre les devises canadienne et américaine rend le marché américain beaucoup plus attirant qu’avant. C’est un avantage important : les entreprises manufacturières canadiennes peuvent être payées en dollars américains alors qu’une portion de leurs dépenses sont en dollars canadiens. Saltworks en a certainement profité pour augmenter ses profits. Toutefois, nous devons nous préparer à la remontée du huard.
Quelle est la chose la plus importante que doivent savoir les nouvelles PME au sujet du commerce d’exportation?
Concentrez-vous sur des régions précises, n’essayez pas de couvrir toute la planète. Nous avons choisi les États-Unis et l’Australie parce qu’ils ont des lois stables régissant les contrats, des marchés sains et une réglementation stricte sur la protection de l’eau. Tous les changements qui toucheront notre industrie et le reste du monde se feront d’abord sentir aux États-Unis en Australie.