Quand on se lance à l’assaut d’une montagne, notre objectif est d’habitude d’atteindre son sommet. En portant toute notre attention sur ce point culminant, l’ascension nous semble plus facile que la descente. Pourtant, c’est souvent là que les difficultés surviennent : la fatigue à la fois physique et mentale s’installe, et nous pousse à commettre des erreurs coûteuses dont les conséquences sont parfois douloureuses…
À la faveur du retour de l’inflation générale à une fourchette plus acceptable, les banques centrales des économies avancées – la Réserve fédérale américaine étant une exception notable – ont commencé à assouplir leur politique monétaire. On le sait : l’envolée de l’inflation et le maintien de taux d'intérêt plus élevés pendant un intervalle prolongé ont assombri les perspectives économiques dans bon nombre de pays. Résultat : les décideurs ont dû trouver leurs repères dans cette conjoncture, mais aussi s’adapter à une économie bousculée par des conditions financières serrées.
Dans son édition estivale des Perspectives économiques mondiales, les Services économiques d’EDC tablent sur un essor modeste de l’économie mondiale en 2024, soit de 3,1 %, au fur et à mesure que les grandes banques centrales de la planète se mettent en mode descente relativement au taux directeur. En 2025, la croissance bondira à 3,5 %. Elle sera portée par l’effet à retardement des taux d’intérêt en diminution et d’une plus grande stabilité de la conjoncture des prix, ce qui contribuera à améliorer les conditions de la demande.
La morosité des perspectives pour l'économie canadienne compte parmi les facteurs décisifs ayant incité la Banque du Canada à être de nouveau la première banque centrale du G7 à réduire ses taux, ce qu’elle a annoncé lors sa réunion de juin. Selon nous, la croissance de l'économie canadienne se fixera à 1,1 % en 2024, puis montera à 1,9 % l'an prochain.
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Les entreprises canadiennes font face à de nouveaux risques, sur fond de détente du marché de l’emploi national et de la demande mondiale. Grâce aux Perspectives économiques mondiales d’EDC et ses profils-pays, elles peuvent prendre des décisions d’affaires éclairées.
Les taux d'intérêt s'orientant à la baisse, plus d'efforts doivent être déployés pour tempérer les tensions subies par les consommateurs canadiens fortement endettés. Rappelons que le total des dépenses des ménages affectées au paiement de leurs dettes a grimpé de près de 8 % au premier trimestre de 2024, par rapport au niveau de l’année précédente. Les Canadiens doivent composer avec un ratio élevé du service de la dette, parmi les plus élevés de l'Organisation de coopération et développement économiques (OCDE). Il y a donc fort à parier que les ménages privilégieront l'épargne plutôt que la dépense.
La demande étant plus timide, les entreprises reporteront à nouveau cette année leurs projets de dépenses à court terme, mais elles reviendront à la charge en 2025 alors que les coûts d'emprunt diminueront et que la demande se redressera. Ce contexte relativement favorable ainsi que l’approche novatrice de la Banque du Canada en matière de politique monétaire ramèneront le huard en moyenne à 72 cents face à la devise américaine en 2024, puis à 75 cents en 2025 dans la foulée du rapprochement des politiques.
Depuis le début de l’année, la Fed n’est pas intervenue compte tenu de l’élan continu de l’économie américaine et de l’inflation persistante. Cela étant dit, la force d’attraction gravitationnelle des taux d’intérêt élevés semble gagner le marché de l’emploi. Là, le rythme des gains faiblit et les hausses salariales redescendent de leurs sommets d’il y a quelques années. Une activité d’embauche moins vigoureuse, une croissance moins marquée des salaires et un réservoir à sec des économies de la pandémie, voilà autant de facteurs qui pèseront sur la confiance du consommateur américain et la croissance générale de l’économie des États-Unis pendant la seconde moitié de 2024. Voilà pourquoi nous projetons une croissance de l’économie américaine de 2,3 % en 2024, puis de 1,8 % en 2025.
Si l’activité tourne davantage au ralenti en seconde moitié d’année, la Fed envisagera une réduction de taux en fin d’année, et devra mener de main de maître la descente des taux tout en gardant à l’œil les tensions inflationnistes. À cette cadence, les taux d’intérêt aux États-Unis suivront une trajectoire divergente des autres grandes économies, ce qui donnera une impulsion au billet vert et exercera des tensions sur les autres devises.
L’euro faible donnera un coup de pouce aux exportations européennes, mais il sera insuffisant pour propulser la croissance globale. Pour la zone euro, nous anticipons une croissance d’à peine 1 % en 2024 et de 1,7 % l’an prochain. Quant à l'Allemagne, moteur industriel de la région, les taux d'utilisation de la capacité restent les plus faibles de l'histoire récente, si on fait exception des taux observés lors de la pandémie et de la crise financière mondiale. La France, pour sa part, continuera d'enregistrer une croissance inférieure à son potentiel. Le pays pourra cependant compter sur un consommateur plutôt résilient qui retrouve le moral à la perspective de la réduction des taux d’intérêt et des retombées positives générées par les JO de Paris.
Malgré des obstacles à surmonter, l'économie chinoise inscrira une croissance de 5 % cette année et de 4,6 % l'an prochain. Ces taux pourraient être considérés remarquables dans certaines régions du monde, mais pour la Chine, il s'agit d'un recul par rapport aux sommets d'avant la pandémie. En dépit de la prise de mesures publiques ciblées, l'activité sur le marché intérieur sera décevante, plombée par les contrecoups de la déroute du secteur immobilier, de même que l'érosion de la confiance chez les consommateurs et les entreprises. Par ailleurs, les exportations chinoises pâtiront de la prise de mesures de représailles protectionnistes et d’une demande mondiale toujours en berne.
Les perspectives plutôt modestes de l’économie mondiale pour 2024 annoncent une certaine apathie pour les cours des produits de base. Le cuivre et l’or font ici figurent d’exception et échapperont à cette tendance, surtout grâce à la présence de facteurs singuliers comme la transition énergétique, la pénurie de l’offre, la volatilité géopolitique et l’activité spéculative. Les effets de ces facteurs devraient continuer de se faire sentir pendant la seconde moitié de cette année. D’après nous, les cours du pétrole West Texas Intermediate devraient en moyenne se situer légèrement sous la barre des 81 dollars américains le baril en 2024, avant d’être ramenés autour de 75 dollars le baril l’an prochain alors que la croissance de l’offre continue d’éclipser la croissance de la demande.
Conclusion?
En rassemblant nos forces et en faisant preuve d’endurance, nous avons réussi à gravir le sommet. Toutefois, sous-estimer la difficulté de la descente serait une erreur pouvant entraîner une myriade de problèmes. Ainsi donc, l’entreprise s’annonce délicate pour les banques centrales : elles devront orchestrer la descente des taux de leurs sommets historiques, tout en évitant les faux pas en matière de politique monétaire. Si ces efforts sont couronnés de succès, les économies pourront renouer avec la croissance dans un contexte d’inflation maîtrisée.
Nous tenons à remercier chaleureusement Ross Prusakowski, directeur, Équipe des renseignements sur les secteurs et les pays, pour sa contribution à la présente édition.
N’oubliez pas que votre avis est très important pour les Services économiques d’EDC. Si vous avez des idées de sujets à nous proposer, n’hésitez pas à nous les communiquer à l’adresse economics@edc.ca, et nous ferons de notre mieux pour les traiter dans une édition future.