Dans un contexte où la Chine peine à se remettre de la débâcle de son secteur immobilier et où une bonne partie des économies du globe amorcent leur atterrissage en douceur, l’abondance de l’offre mondiale contribue à faire redescendre le cours de la plupart des produits de base de leurs récents sommets de 2022. Certes, il subsiste des préoccupations structurelles à long terme liées à certaines problématiques comme la sécurité alimentaire mondiale ainsi que la disponibilité des métaux et des minéraux nécessaires pour  mener à bien la transition énergétique. On note tout de même un relâchement des tensions à court terme sur l’offre et la demande.

Pour preuve : l’indice des produits agricoles de la Banque du Canada a chuté de 26 %. Par ailleurs, les préoccupations entourant une offre excédentaire pour les matières premières comme le cuivre, le cobalt, le nickel et le lithium ont fait fléchir les cours. Par le passé, nous avons abondamment traité du dossier énergétique et la manière dont la capacité excédentaire a aisément maintenu les cours pétroliers sous la barre des 100 dollars le baril, et ce, malgré la guerre au Moyen-Orient, les graves interruptions de la navigation dans le canal de Suez, le maintien des restrictions visant l’approvisionnement russe et la diminution des niveaux de production décidée par l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole).

Cependant, le cours de certains produits de base de premier plan semble échapper à cette tendance. C’est le cas de l’or dont le cours a bondi de près de 35 % cette année et qui a atteint de nombreux sommets en octobre uniquement; et cette embellie ne semble pas près de s’arrêter… Comment l’expliquer?

Tout d’abord, par l’entrée sur le marché de nouveaux acheteurs disposant de moyens financiers considérables et ayant des visées stratégiques. Les banques centrales ont nettement accru leur présence sur le marché. Rappelons que, traditionnellement, elles contribuent énormément à la vigueur de l’activité du commerce de détail dans des pays comme l’Inde et la Chine. Ce changement est motivé par la volonté de plusieurs pays de progressivement diversifier leurs réserves de change officielles en s’éloignant de la devise américaine.

Face à la fragmentation géopolitique qui s’intensifie et à la réponse américaine à l’invasion russe en Ukraine, bon nombre de ces pays étudient des solutions de rechange au système de paiement fondé sur le dollar. Voilà pourquoi les achats d’or des banques centrales se sont envolés de 140 % en 2022, tandis que les volumes sont restés stables l’an dernier et se dirigent vers une autre année de robuste activité en 2024.

Sur le front géopolitique, rappelons qu’au fil de l’histoire ainsi que de l’ascension et la chute des empires, l’or a toujours conservé son statut de réserve de richesse. Il n’est donc pas étonnant que l’or ait retrouvé tout son éclat dans la conjoncture que connaissons, qui est marquée par la guerre en Europe et au Moyen-Orient, l’escalade des tensions dans la mer de Chine méridionale, la rivalité entre puissances dans plusieurs régions du globe, de même que la polarisation observée dans la sphère politique dans bon nombre de pays.


Il y a sans doute d’autres valeurs sûres, me direz-vous. Pour les investisseurs, les obligations (notamment celles émises par des États et des sociétés solvables) diminuent la probabilité de la perte d’investissement liée à d’autres actifs financiers et procurent une entrée stable de liquidités. Cependant, à mesure que les banques centrales abaissent leur taux d’intérêt et que les liquidités sont mises sous tension, l’or devient attrayant pour les acteurs en quête d’investissements refuge en période de turbulence. La réduction très sensible des taux effectuée en septembre par la Réserve fédérale américaine de même que les baisses orchestrées par d’autres grandes banques centrales, y compris la Banque populaire de Chine, étaient précisément le dénouement attendu par les investisseurs.

Par ailleurs, le 15 octobre dernier, le Fonds monétaire international (FMI) a prévenu que la dette publique mondiale pourrait grimper à 100 000 milliards de dollars américains en 2024 et qu’elle représenterait la totalité du produit intérieur brut (PIB) mondial d’ici la fin de la décennie, les États-Unis et la Chine contribuant le plus au gonflement de cette dette.

La dynamique de la dette publique suscite déjà des inquiétudes chez de nombreux acteurs; d’ailleurs, les données posent la question de la soutenabilité de la dette publique et de la nature sécuritaire des obligations par rapport à d’autres options. La hausse des dépenses publiques en cette année d’élections fait aussi redouter un regain de l’inflation. Une inflation plus élevée ferait augmenter la demande en or à titre de mesure de valeur fiable et éprouvée.

La « crainte de rater le train » constitue un autre élément non négligeable. Tous les voyants étant au vert pour l’or, cette crainte exerce l’influence la plus grande. La flambée de 20 % de l’or entre novembre 2022 et novembre 2023 a permis au cours du métal jaune de bondir à nouveau de 35 % en novembre 2024.

Conclusion?

La montée en flèche des cours aurifères depuis deux ans, et particulièrement cette année, est stupéfiante. Pourtant, lorsqu’on examine les forces en présence, cette ascension fulgurante est tout à fait logique. L’achat d’or par les banques centrales, la tendance à la dédollarisation, l’instabilité politique, le changement de cap de la politique monétaire, les inquiétudes des gouvernements entourant la soutenabilité de la dette, l’inflation des dépenses et la crainte de « rater le train » sont autant d’éléments qui, par eux-mêmes, peuvent agir comme de puissants catalyseurs.

Que nous réserve l’avenir ? Selon nous, le passage à la nouvelle année ne suffira pas à dissiper l’effet de ces éléments, qui contribueront à maintenir les cours élevés. Toutefois, nous croyons que la réduction des achats d’or par les banques centrales en raison des cours élevés et l’accalmie du côté de l’activité spéculative devraient modérer l’élan des cours en 2025. Parallèlement, des rendements supérieurs devraient favoriser une expansion de la production et de l’exploitation dans le secteur minier, ce qui devrait rétablir une certaine normalité sur le marché en 2026.

Nous tenons à remercier chaleureusement Ian Tobman,  gestionnaire de notre Centre d’information économique et politique, pour sa contribution à la présente édition.

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