Joella Hogan est très occupée. Quand elle n’est pas en train de mélanger, de couper et d’emballer des savons faits main dans son atelier du nord du Canada, elle donne des entrevues à des revues de mode et à des vidéographes pour parler de son petit commerce et de ses racines autochtones.
« C’est épuisant », plaisante la fondatrice de The Yukon Soaps Company [YSC] (en anglais seulement), qui fabrique des savons, des shampoings et des huiles essentielles entièrement naturels à partir de baies de genévrier, de jeunes pousses d’épinettes et de fleurs sauvages, qu’elle cueille sur la terre près de chez elle à Mayo, au Yukon, une localité de 400 habitants.
Toute cette attention est bonne pour les affaires. Mais pour Joella Hogan, il s’agit surtout d’une occasion de parler des traditions, de la langue et de la culture des peuples autochtones du nord du Canada.
Je suis profondément convaincue que les Autochtones qui possèdent et exploitent une entreprise donnent des moyens d’action non seulement aux gens individuellement, mais aussi à la communauté qu’ils représentent.
Cette fière membre de la Première Nation de Na Cho Nyäk Dun a acheté la marque locale déjà établie en 2012 pour pouvoir redonner à sa collectivité et aide les gens à renouer avec leur culture et leur terre.
« Je suis issue d’une longue lignée de femmes autochtones fortes et dynamiques. Mes matriarches sont enseignantes, guérisseuses, femmes des bois, militantes en faveur des droits sociaux et leaders culturelles. Elles m’ont montré à provoquer les choses », explique cette entrepreneure avisée dont l’objectif d’affaires a toujours été de contribuer à la croissance de l’économie du Yukon en employant des jeunes de la région et en faisant la promotion du talent des créateurs et des artisans autochtones.
« Le savon est secondaire. Je voulais créer des emplois dans ma localité tout en approfondissant mes connaissances de la langue et de la culture. Le savon n’est qu’un outil pour y parvenir. »
La croissance en contexte d’incertitude
La dernière fois que nous nous sommes parlé remonte à juin 2020. À ce moment-là, la COVID-19 faisait les manchettes partout dans le monde. Bien des choses ont changé pour YSC depuis.
« Mon entreprise a connu une période de croissance pendant la pandémie. C’était complètement fou », raconte Joella Hogan, dont les ventes en ligne ont atteint des sommets en 2020 et 2021.
Pendant que d’autres entreprises subissaient les contrecoups du confinement et devaient fermer, son équipe a dû accélérer le rythme pour répondre à la demande.
« Il a vraiment fallu passer à la vitesse supérieure. On vendait déjà en ligne avant la pandémie, mais jamais en aussi grande quantité. Il a fallu faire venir des palettes de boîtes d’expédition pour arriver à acheminer toutes les commandes », se souvient-elle. Et quand les magasins, les spas et les boutiques de cadeaux ont commencé à rouvrir en 2021, l’intérêt que suscitaient ses produits auprès des détaillants s’est accentué.
« Les Autochtones et la vie dans le Nord ont toujours été source de fascination », fait valoir Joella Hogan, qui tient à raconter l’histoire de son héritage tutchone. « Mes savons sont littéralement imprégnés de l’esprit du Yukon. »
Construisez, ils viendront
En avril 2020, se trouvant désormais à l’étroit dans son petit atelier, Joella Hogan a ouvert une fabrique de 2 000 pieds carrés, qui comprend aussi trois appartements locatifs. Ce nouvel immeuble, qu’elle a baptisé Raven’s Landing (l’atterrissage du corbeau) en l’honneur de son clan des Premières Nations, est un endroit « où l’on peut se rassembler, se reposer et créer ».
« Je suis profondément convaincue que les Autochtones qui possèdent et exploitent une entreprise donnent des moyens d’action non seulement aux gens individuellement, mais aussi à la communauté qu’ils représentent », faisait valoir Joella Hogan le jour de l’inauguration. « C’est pour moi un grand bonheur de voir enfin se concrétiser mon rêve de créer un espace où mon entreprise pourra croître et les habitants de mon village, s’épanouir. »
Elle ne s’attendait toutefois pas à ce que son nouvel atelier revête autant d’importance aux yeux de la population de Mayo.
« Je n’avais pas bien mesuré tout l’amour et le soutien dont fait l’objet mon entreprise. Tout le monde est venu. Je n’en revenais pas. Personne n’investit vraiment dans notre localité, nous sommes une petite ville minière loin de tout. Les habitants étaient très fiers de voir que je pouvais non seulement investir, mais aussi créer un carrefour qui offre en outre des logements abordables. »
Étant donné les choses négatives qu’on entend continuellement aux informations sur les communautés nordiques – pénurie chronique de logements, taux de suicide élevé chez les jeunes, crise des opioïdes – elle est heureuse de pouvoir « changer le discours ».
« Je veux que nos jeunes sachent que notre communauté a tellement plus à offrir. »
Vous devriez également consulter
Découvrez les bénéfices des partenariats entre entreprises canadiennes autochtones et non autochtones.
Principaux défis
Quand on fait des affaires depuis une localité isolée du nord du Canada, l’une des principales difficultés selon Joella Hogan est d’acheminer ses produits à ses clients du Canada, des États-Unis et d’ailleurs.
« L’expédition est un défi parce que Postes Canada vient encore une fois d’augmenter ses tarifs. Alors quand quelqu’un achète un pain de savon à 10 $ et que je dois en payer treize pour l’expédier, c’est un problème. Je ne peux pas absorber ces coûts. Je cherche donc à créer des incitatifs, par exemple, si vous achetez une telle quantité, la livraison est gratuite. Postes Canada est la seule option dans ma région. FedEx et UPS ne livrent pas ici. »
L’impact d’EDC
Dans une récente vidéo produite par Exportation et développement Canada (EDC), on voit Joella Hogan et son chien, Nadaleen (du nom d’une rivière du Yukon), marcher dans un champ, avec au loin des montagnes aux sommets enneigés. C’est la terre où ont vécu ses ancêtres pendant des générations.
« Grâce au Programme d’accélération du commerce (PAC) et aux connaissances des experts d’EDC, j’ai énormément appris sur le marketing à l’étranger », a-t-elle à dire au sujet du soutien qu’elle a reçu. « Les webinaires d’EDC m’ont été très utiles et le réseautage aussi.
« Quand on se trouve dans une toute petite localité nordique à faire rouler son commerce, les liens avec des entreprises et des partenaires d’autres secteurs deviennent très importants ».
EDC a pour objectif d’aider 400 entreprises autochtones à prendre de l’expansion à l’étranger d’ici la fin de 2023. Faire connaître cette communauté de petites entreprises florissantes fait donc partie des grandes priorités d’EDC, indique Todd Evans.
« Dans un esprit de respect envers l’histoire, la culture et les traditions des Premières Nations, EDC a à cœur d’appuyer les entreprises autochtones et de lever les obstacles à leur croissance pour qu’elles puissent prospérer à l’international tout en créant des emplois et en favorisant la réussite dans leur communauté », ajoute Todd Evans, responsable national, entreprises exportatrices dirigées par des Autochtones à EDC.
Vous devriez également consulter
Le guide Femmes en commerce d’EDC aide les entrepreneures canadiennes à prospérer à l’étranger
Conseils aux entrepreneures
Ardente défenseure de la place des femmes dans le monde du commerce, Joella Hogan a appris la valeur d’un bon plan d’exportation dans les ateliers du PAC, ateliers qui visent à aider les PME canadiennes à perfectionner leurs connaissances sur le commerce, à tisser des liens et à favoriser leur succès à l’étranger. Voici ses meilleurs conseils aux entrepreneures :
- Vos finances sont un indicateur de la prospérité de votre entreprise. « Qu’importe votre type d’entreprise, ayez un compte bancaire distinct, obtenez un numéro d’entreprise et surveillez vos coûts et vos dépenses parce que c’est ainsi que vous saurez si votre entreprise est véritablement prospère. »
- Gardez le cap et ne vous laissez pas distraire par les médias sociaux. « C’est facile de se laisser entraîner dans les tendances et de s’éloigner de sa marque et de ses valeurs », fait valoir Joella Hogan, qui admet ne pas suivre les autres fabricants de savon ni sur Instagram ni sur LinkedIn. « Il ne faut jamais perdre de vue ses objectifs. »
Cliquez ici pour en savoir plus sur la façon dont EDC soutient les entreprises canadiennes détenues et dirigées par des Autochtones.