Vous vous souvenez de cette scène de l’inimitable film Monty Python? Lorsque le crieur public proclame « Rush hour! », les rues deviennent d'un coup bondées de monde. Durant les pires moments de la pandémie, nous avions l’impression qu’une demande robuste nous permettrait de facilement augmenter la production, le moment venu. À vrai dire, la principale inquiétude était que le crieur ne sonne plus jamais la cloche… Fort heureusement, ce moment s’est produit, et nous nous employons désormais à reprendre du service. Paradoxalement, malgré la vivacité de la demande, les pénuries se multiplient, et quand les produits sont disponibles, leurs prix grimpent. Cette situation est-elle temporaire ou faudra-t-il plus de temps pour que les choses se normalisent?

C’est ce que les banques centrales un peu partout sur la planète tentent de déterminer. Si cette situation perdure, les prix risquent de dépasser la fourchette cible pendant un certain temps. Les autorités monétaires tentent de gérer les attentes en nous disant qu’un peu d’inflation n’est pas une mauvaise chose. En effet, une montée légère et maîtrisée de l’inflation pourrait être le signe le plus sûr que l’économie mondiale est vraiment prête pour un rebond. 

À ce chapitre, les données récentes sur les prix sont plutôt inquiétantes. Après des décennies d’accalmie, les prix des producteurs américains sont en constante hausse sur une base mensuelle – et ces hausses s’accélèrent chaque mois. Ces augmentations ne se limitent pas aux catégories où les prix sont volatils : elles touchent aussi les catégories « de base »; dans ces catégories, la progression mensuelle dépasse l’indice général. Au Canada, on observe des augmentations encore plus notables des prix chez les producteurs.

Ces majorations du prix des intrants ne semblent pas modifier les résultats des producteurs. Aux États-Unis, les prix à la consommation suivent également une trajectoire ascendante. Leur ascension n’est pas aussi marquée au Canada; toutefois, le maintien des mesures de confinement pourrait atténuer cette tendance. Combien de temps faudra-t-il aux entreprises pour répercuter ces hausses générales de prix aux consommateurs? Le temps nous le dira.

Pour l’heure, ce que nous savons fait les grands titres et alimente les discussions sur les réseaux sociaux. Quels facteurs sont à l'œuvre? D’après les économistes, la capacité est l’un des facteurs déterminants.  Si elle est importante et mise à contribution, elle devrait aider à calmer le jeu – pendant un intervalle suffisant pour que les choses s’améliorent. Lorsque l’activité économique a piqué du nez en mars et avril 2020, il y avait beaucoup de capacités excédentaires. Qu’en est-il aujourd’hui? 

On constate, à regret, que cette capacité est plus faible, du moins dans le secteur manufacturier. L’envolée des ventes a fait bondir le niveau moyen d’utilisation des capacités pour l’ensemble du secteur : il est passé de 94 % d’avant les niveaux de la pandémie à un peu plus de 100 % entre février et mars. C’est une première depuis le début de cette crise. Voilà une excellente nouvelle, mais il y a une ombre au tableau : la marge de manœuvre est actuellement mince pour les producteurs vu l’élan de la demande.  

De toute évidence, la situation varie en fonction des sous-secteurs. La pénurie de puces électroniques a ralenti la cadence du côté de la filière automobile et des pièces automobiles, ce qui pèse sur l’utilisation des capacités dans un secteur du transport éprouvé. Les secteurs de l’imprimerie, du vêtement ainsi que des produits du pétrole et du charbon disposent de divers niveaux de capacité, mais ils font figure d’exceptions. Certains services, surtout liés au tourisme, ont d’immenses capacités inutilisées; pourtant, une poignée de ces filières possèdent ce dont d’autres ont besoin pour atténuer les contraintes. Sur le plan de la capacité, tous les autres secteurs ont retrouvé un niveau égal ou supérieur à celui d’avant la pandémie : le matériel électrique, les produits du bois, la machinerie et les produits chimiques, où les conditions sont généralement limites.

Fait à noter, les États-Unis semblent disposer d’un peu plus de marge de manœuvre que nous. Tout comme au Canada, les secteurs américains de la machinerie, de l’agroalimentaire et des produits du bois s’approchent de leurs limites, mais en comparaison avec ce qui se passe au Canada, il semble y avoir plus de capacités à disposition dans plusieurs secteurs. Globalement, les capacités des secteurs en amont semblent moins touchées; ce sont les tensions sur les produits finis qui influeraient sur les prix à la vente. Si c’est effectivement le cas, procéder au redémarrage d’une plus grande partie des entreprises en amont pourrait renforcer la production, réduire les retards du côté des chaînes d’approvisionnement et assurer un niveau de production davantage en phase avec la demande.


Ce phénomène est sans doute le plus évident dans les semi-conducteurs puisque, pour ce sous-secteur, la capacité a une portée internationale. Les expéditions de semi-conducteurs en provenance d’Asie n’ont pas suivi le rythme des ventes et de la production en Amérique du Nord. Ce faisant, malgré une demande en effervescence, les stocks pour plusieurs de ces produits sont dangereusement faibles – la production ne pouvant simplement pas suivre la cadence.  Résultat : aux États-Unis, les constructeurs automobiles ont vu l’utilisation de leurs capacités passée de près de 100 % du niveau d’avant la pandémie, en janvier, à 88,6 % en avril.

Chose certaine, les pénuries actuelles vont au-delà des limites géographiques. Pour y remédier, il faudra une augmentation mondiale de la production qui soit bien orchestrée. Mettre à l’arrêt l’économie est une opération douloureuse, mais plus facile que de relancer l’activité.

Conclusion?

Le crieur a sonné la cloche annonçant l’heure d’affluence alors que les étals du marché sont à moitié remplis. Les acheteurs affluent et les produits sont vendus au plus offrant. Comment mettre fin à cette dynamique? En effectuant un redémarrage des chaînes d’approvisionnement d’une portée mondiale. Il reste à espérer que cela se produira à temps pour mettre un terme à la progression constante des prix. Il y aurait d’ailleurs assez de capacités pour remettre le tout en marche dans un horizon à court terme.