À tout le moins, la menace d’une récession et d’un repli de la demande a eu le mérite de refroidir, pendant un moment, une inflation alimentaire galopante. En effet, depuis mai, la composante des produits agricoles de l’Indice des prix des produits de base de la Banque du Canada a cédé 12,5 %. Voilà une nouvelle rassurante pour les importateurs de denrées alimentaires, dont certains sont parmi les nations les plus pauvres de la planète. Il serait cependant prématuré de crier victoire face à la crise alimentaire mondiale, vu la persistance des tensions sur l’offre de ces denrées essentielles. Alors, le Canada peut-il aider à atténuer la crise?

La demande alimentaire est d’habitude comblée par le secteur de la restauration et l’industrie hôtelière. Toutefois, en temps de pandémie, les commandes en ligne et les visites à l’épicerie ont pris le relais, si bien que les chaînes d’approvisionnement ont dû s’adapter. Face à un rebond de la demande – porté par la réouverture des restaurants et le retour d’autres services –, l’offre alimentaire n’a pas suivi en raison de la congestion au niveau de la production. 

L’invasion de l’Ukraine par la Russie n’a fait qu’amplifier ces déséquilibres, tout comme d’ailleurs les mauvaises conditions météo dans des pays grands producteurs de cultures, ce qui a causé une flambée des prix de 80 % par rapport au niveau d’avant la pandémie. La guerre a aussi impacté le prix d’intrants indispensables, comme les engrais et le diesel, forçant les producteurs agricoles à répercuter les hausses aux consommateurs. Dans ce contexte, l’indice des prix des engrais, établi par la Banque mondiale, a plus que triplé par rapport au niveau d’avant la crise sanitaire. 

Les accords conclus, sous l’égide des Nations Unies, permettront de sortir des milliers de tonnes de céréales et d’engrais bloqués dans les ports d’Ukraine de la mer Noire. C'est là une excellente nouvelle, tout comme l’augmentation de la production dans d’autres pays. Pour autant, ces évolutions positives n’annoncent pas la fin de cette crise alimentaire. De fait, il existe de réelles préoccupations au sujet de la fragilité du cessez-le-feu.


La dévastation des terres agricoles et le déplacement de la main-d’œuvre, en Russie comme en Ukraine, viendront sans doute perturber l’activité de plantation l’an prochain. À l’approche du temps des moissons dans cet important grenier de la planète, les agriculteurs incapables de transporter leur récolte cette année auront du mal à financer la production de la prochaine saison, surtout si le coût des intrants reste élevé. Cette conjoncture viendra à nouveau affecter, en 2023, les rendements de même que les cours des céréales et des oléagineux.

La Russie et l’Ukraine comptent parmi les grands producteurs d’aliments et contribuent de manière notable aux exportations mondiales de blé, d’orge et de maïs. Plusieurs nations d’Europe occidentale, d’Afrique, d’Asie et du Moyen-Orient sont fortement tributaires de ces deux marchés pour obtenir ces denrées alimentaires essentielles. Parallèlement, bon nombre de pays subissent une dépréciation de leur monnaie, ce qui fait grimper le coût des importations.

L’Égypte, la Turquie, la Chine, l’Indonésie et les Pays-Bas sont les principaux acheteurs du blé provenant de Russie et d’Ukraine. Pour leur part, l’Égypte et la Turquie importent plus de la moitié de leur blé de ces deux pays. L’Égypte a de nouveau demandé l’aide du Fonds monétaire international (FMI) alors que, de son côté, la Turquie fait face à une inflation qui risque d’asphyxier la demande. Dans les faits, on dénombre 25 pays qui importent plus de la moitié de leur blé de la Russie et de l’Ukraine, ce qui rend ces pays particulièrement vulnérables.

Même les pays qui ne sont pas directement touchés ressentent les effets de la montée du coût des aliments. Le prix élevé des aliments est générateur de fortes tensions dans plusieurs pays moins développés, où ce poste de dépenses représente une part plus grande du revenu total. Alors que le monde s’approche dangereusement d’une crise alimentaire et que les régimes en place peinent à maîtriser la situation, la possibilité de troubles sociaux devient plus grande. 

Le Canada, grand exportateur mondial de canola, de graines de lin, de blé et d’orge pourrait être en mesure d’aider à combler le déficit créé par ce conflit, comme nous le soulignons dans la première édition de notre nouvelle publication : Secteurs en vedette. En matière de nutriments agricoles, le Canada figure au premier rang des exportateurs de potasse, sa part des exportations mondiales atteignant 39 %, contre 37 % pour les exportations réunies de la Russie et du Bélarus.

On s’attend à ce que la mine Jensen, une nouvelle installation en construction en Saskatchewan, ajoute huit millions de tonnes par année à la capacité de production du Canada. Elle constituera la plus grande mine de potasse du globe et sa production représentera environ 15 % de l’offre mondiale actuelle. De plus, une mine au Nouveau-Brunswick pourrait fournir 1,8 million de tonnes supplémentaires. Même si elle a cessé ses activités en 2016, cette mine serait viable sur le plan économique dans les conditions actuelles du marché : sa production pourrait donc être facilement relancée.

Le Canada est le cinquième exportateur d’engrais azotés du globe et pèse pour 3,5 % des exportations mondiales, alors que la contribution combinée du Bélarus et de la Russie atteint les 20 %. À moyen terme, le Canada aurait tout intérêt à renforcer sa capacité à combler le déficit créé par ces deux pays. Cette demande mondiale, dont la valeur se chiffre à 121 milliards de dollars américains, donne au Canada une occasion en or de s’imposer comme un exportateur fiable d’engrais azotés, notre pays abritant de vastes gisements de gaz naturel.

Conclusion?

Les perturbations de la chaîne d’approvisionnement – attribuables aux impacts de la pandémie – et les effets des changements climatiques ont mis des millions de personnes dans une situation d’insécurité alimentaire aiguë. Selon le rapport État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde, le nombre de personnes sous-alimentées avoisinait les 828 millions en 2021, soit 150 millions de plus qu’avant la pandémie. De toute évidence, la guerre de Vladimir Poutine en Ukraine n’a fait qu’empirer les choses. Le secteur agricole du Canada, grâce à ses abondantes ressources ainsi qu’à son savoir-faire et ses technologies de pointe peut jouer un rôle vital et aider à changer la donne – à condition de faire des investissements judicieux dans notre infrastructure d’exportation et notre capacité de production.

Nos plus sincères remerciements à Prince Owusu, économiste principal au Centre d’information économique et politique d’EDC pour sa contribution à la présente édition.

Le thème de ce propos a été proposé par Charles Potts de Brandon, au Manitoba.

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