Les économies de la planète s’endettent, voilà qui est incontestable. Au lendemain de la grande récession, la dette avait fait les grands titres : les gouvernements l’augmentaient sans ménagement, tandis que les entreprises et les consommateurs surendettés s’en méfiaient. Dans les deux cas, on a assisté à un changement total d’attitude : la dette privée était ce qui alimentait la frénésie d’achat de la fin du cycle, alors que la stricte discipline à l’égard de la dette publique caractérisait le type de gestion budgétaire d’avant la récession. Depuis ces bouleversements, la dette sous toutes ses formes s’oriente dans une seule direction – à la hausse. L’économie mondiale peut-elle composer avec cette montée de la dette? Devrait-on s’en inquiéter?

Pour le savoir, examinons le bilan des gouvernements sur ce front. Les imposants programmes de relance déployés après la récession ont fait grimper en flèche le niveau de la dette. Auparavant, la dette était relativement bien gérée dans les nations de l’OCDE : elle était stable à environ 70 % du PIB. En 2011, la moyenne a franchi le cap du 100 % – un taux inacceptable pour les agences de notation –, et cette tendance s’est maintenue jusqu’en 2014, quand la dette publique à l’échelle de la zone s’est stabilisée autour de 110 % du PIB. C’était peut-être là le prix à payer pour éviter un effondrement plus spectaculaire qu’en 2009; pourtant, l’assainissement budgétaire tant attendu, au fil de l’amélioration de la situation économique, n’a pas eu lieu… 

Mais il y a plus. La mise en place d’une politique monétaire ultraaccommodante, après des dépenses budgétaires faramineuses, a favorisé un penchant à augmenter la dette. Les gouvernements et les entreprises n’ont pas résisté à la tentation, dans un contexte caractérisé par des taux d’intérêt à des creux historiques et par des liquidités abondantes. Dans l’ensemble, la dette combinée rend l’économie mondiale vulnérable à une normalisation des taux d’intérêt ou à un repli inopportun de l’activité internationale – deux scénarios bien réels à court terme. 

Alors, la situation est-elle maîtrisée? Peut-on la réduire à quelques cas fâcheux qui faussent notre perception de l’ensemble? C’était certainement le cas en 2009 lorsqu’il était devenu évident que la Grèce et quelques autres économies de premier plan du Sud de l’Europe étaient étouffées par leur dette. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : au Japon, des difficultés économiques de longue date ont fait grimper la dette publique globale à l’incroyable taux de 225 % du PIB, soit bien supérieur au 187 % jadis affiché par la Grèce. Parallèlement, la dette américaine est passée de 65 % du PIB avant la récession à 107 % l’an dernier. Voilà seulement un avant-goût de la détérioration quasi planétaire et unidirectionnelle de la position de la dette. 

On pourrait penser que les grands marchés émergents seraient épargnés : après tout, ils enregistrent des excédents commerciaux, affichent des taux d’épargne élevés et donnent l’impression qu’ils profitent d’une solide gestion de la dette et de faibles niveaux d’exposition. Ce serait là une erreur. En effet, selon le numéro de la semaine dernière du Global Debt Monitor, publié par l’Institute of International Finance, la dette des marchés émergents a atteint le niveau record de 69 000 milliards de dollars au premier trimestre de cette année, ce qui représente 216 % du PIB. Il s’agit non seulement de la dette publique, mais aussi de la dette des consommateurs et des entreprises. Malgré tout, ce chiffre est élevé et témoigne d’une tendance grandissante et généralisée à un accroissement de la dette. 

De toutes les catégories, les sociétés non financières des marchés émergents sont celles qui ont contracté le plus de nouvelles dettes pendant les années d’accès facile aux liquidités. Le gonflement de la dette s’est produit pendant les années de mise en œuvre du programme d’assouplissement quantitatif. Cette tendance est différente de celle qui a dominé dans un lointain passé, où les gouvernements étaient les premiers responsables désignés des problèmes liés à la dette, ce qui était particulièrement le cas en Amérique latine, mais aussi ailleurs.

L’ampleur de la dette des sociétés sur les économies émergentes est problématique à certains égards. Sur ces marchés à forte croissance, on table sur le fait que les entreprises comptent parmi les principaux moteurs du dynamisme économique, facilitent la gestion budgétaire et donnent les moyens de payer les nouvelles infrastructures. Si on s’attend généralement à un relèvement des taux d’intérêt, le fardeau des entreprises grandira, ce qui risque de compromettre la croissance globale. 

Autre élément préoccupant : l’importante part de la Chine dans tout cela. La Chine est toujours considérée comme un marché émergent, mais son PIB annuel est le deuxième plus important du globe. Ce faisant, son exposition à la dette pose un risque pour la croissance future. Comme il existe des preuves d’une demande comprimée dans les riches économies de l’Occident, la Chine bénéficie toujours de la perspective d’une croissance continue de l'activité des entreprises. Toutefois, les inquiétudes entourant les politiques commerciales présentent un risque majeur pour ce qui est d’actualiser le potentiel de la croissance mondiale – ce qui souligne la nécessité de résoudre les différends actuels en matière de commerce.

Conclusion?

Le niveau de la dette grimpe aux quatre coins du monde, et pas uniquement sur les marchés où ce niveau a augmenté par le passé. Cette situation est gérable compte tenu des fondamentaux actuels de la demande mondiale. Cependant, ces fondamentaux sont perturbés par des contrariétés sur le plan des politiques, qui ont pour effet d’assombrir l’horizon à court terme. Tarder à parvenir à une résolution ne ferait qu’aggraver les conséquences négatives.