Le monde est en effervescence à la suite de l’envolée récente des cours de l’or, qui ont atteint – et même dépassé – le sommet inédit des 2 000 dollars américains. De l’avis de certains, c’est le début d’une longue ascension qui pourrait faire grimper l’once troy jusqu’à 3 500 dollars américains. D’autres analystes estiment pour leur part que le cours du métal jaune est déjà surévalué et prédisent une correction, quoique très légère. Les prévisions d’augmentation sont formulées alors que l’économie mondiale orchestre une rapide reprise. En pareil contexte, le cours de l’or ne devrait-il pas s’orienter à la baisse?
Commençons par retracer l’évolution récente des cours de l’or. Lors de la crise financière mondiale, les cours sont passés de 800 dollars à la fin 2008 pour s’établir tout juste sous les 1 900 dollars à l’été 2011. Les cours sont demeurés élevés pendant un bon moment; et il a fallu attendre au milieu de 2013 pour assister à une correction se situant entre 1 200 et 1 400 dollars, où les cours se sont maintenus jusqu’à la mi-2019. De ce niveau, il y a eu une progression de six mois avant la pandémie, ce qui a porté le cours jusqu’à 1 600 dollars. Par la suite, les cours ont bondi à 1 700 dollars, sont redescendus puis remontés, et à l’heure actuelle, ils auraient dépassé le pic de 2011. Comment l’expliquer?
La plupart des gens voient l’or comme la « matière » par excellence. Après tout, ne dit-on pas qu’une chose « vaut son pesant d’or »? Pourtant, la flambée des cours de l’or est souvent jugée préoccupante, et celle que nous observons aujourd’hui ne fait pas exception. Un nombre grandissant de développements négatifs semblent alimenter la montée actuelle. Ainsi, la détérioration des finances compte parmi les grandes préoccupations. Les importants plans de relance déployés face à la pandémie font partout grimper les ratios de la dette publique au PIB. En fait, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) prévoit que la dette publique moyenne des États membres augmentera de 17 % en part du PIB, et ce uniquement en 2020. De plus, on s’attend à ce que les ratios clés culminent à un peu moins de 130 % en 2021. Les taux dépassant les 100 % font d’habitude blêmir les agences de notation : elles s’inquiètent donc des niveaux actuels, qui font naître diverses appréhensions.
Une autre hantise engendrée par la montée de la valeur de l’or est l’inflation. Le retour des programmes d'assouplissement quantitatif aux États-Unis en Europe – et le lancement du premier programme de ce genre au Canada – ont ravivé les craintes d’une montée de l’inflation, tout particulièrement chez ceux qui tablent toujours sur un retour aux niveaux d’avant la pandémie au cours de la prochaine année. Ils redoutent que des liquidités excessives dans le système ne permettent pas d’échapper à une accélération rapide des prix.
Même si ce scénario est évité, cela ne signifie pas que nous serons tirés d’affaire. Parce que l’or se porte bien même en période de désinflation ou de déflation. Ici, on s’inquiète d’un blocage des liquidités et de la réticence de plusieurs de se départir de liquidités de plus en plus rares. La probabilité que ce scénario se concrétise dépend essentiellement de la capacité de l’économie mondiale à se redresser rapidement et complètement de la pandémie.
Les difficultés du système financier peuvent aussi accroître le malaise qui insuffle un élan à l’or. Comme la crise financière mondiale nous l’a appris, la vigueur générale du système repose en grande partie sur l’aptitude d’institutions plus faibles à demeurer solides. La pandémie devrait gonfler la dette des entreprises, alors même que les effets de l’après-pandémie demeurent encore inconnus.
Les cas de dégradation de la dette souveraine se multiplient, ce qui pose un risque accru de défaut sur les marchés émergents et d’une intervention du Fonds monétaire international (FMI) sur certains fronts. Les économies qui sont tributaires du tourisme pour générer une part importante de leurs recettes en devises sont en difficulté. Les nations productrices de pétrole doivent composer avec des tensions semblables, tout comme les nations fortement tributaires du commerce. Les difficultés intérieures augmentent ces tensions, dans un contexte mondial de moins en moins vigoureux, ce qui devrait donner encore plus d’éclat à l’or.
Par ailleurs, vu l’ampleur des changements économiques, il devient de plus en plus difficile de calibrer les devises. Comme celles-ci sont d’habitude mesurées l’une par rapport à l’autre, la détérioration simultanée des économies limite le nombre de devises de référence. Il n’est pas clair si les monnaies de réserve refuge traditionnelles sont restées les mêmes, et ce manque de clarté est amplifié par les menaces qui pèsent sur le système commercial mondial. La conjoncture a même relancé le débat dans certains cercles d’un retour à l’étalon-or. Naturellement, les propos de ce genre ont de quoi rendre nerveux les spéculateurs.
Une foule de préoccupations s’ajoutent à ces inquiétudes. Dans la lutte contre la COVID-19, les pays se préparent à une deuxième vague d’infections. Or, une reprise économique véritable et durable ne peut avoir lieu que si la pandémie est maîtrisée. Malheureusement, le sentiment général d’incertitude a été accentué par un regain des disputes commerciales, en particulier l’escalade des tensions entre la Chine et les États-Unis. Pour ne pas arranger les choses, la prise de mesures de relance est entravée par une impasse législative aux États-Unis, le tout sur fond d’élections américaines teintées d’acrimonie.
Conclusion?
De toute évidence, plusieurs facteurs favorisent la montée – réelle ou spéculative – de l’or. Tout comme les divers éléments soumis à la conjoncture économique, plusieurs de ces facteurs sont liés, directement ou indirectement, à la pandémie et à ses répercussions. Et il y a fort à parier que la forme de la reprise impactera la trajectoire future de l’or. Si le cours de l’or se modère, cela annoncerait sans doute que la majorité des autres éléments suivront ce mouvement. Espérons que ce soit le cas.