Un jour, nous disposerons de données en temps réel sur presque tout. Pour le moment, le décalage reste énorme. Estimons-nous chanceux puisque certains pays font face à des difficultés bien plus graves dans ce domaine. Même pour nous, utiliser ces données, c’est un peu comme conduire une voiture en ayant le regard rivé sur le rétroviseur. Compte tenu des conséquences immédiates et démesurées de la COVID-19 sur l’économie, c’est là un véritable problème. Malgré leurs limites, les données actuelles permettent-elles d’être optimistes au sujet de la croissance à court terme?

Avant de répondre à cette question, parlons un instant des données. En temps normal, les données publiées montrent un décalage d’environ 60 jours. Donc, si un événement survient en avril, on en entendra parler en juin. Les données relatives aux échanges commerciaux ainsi qu'aux ventes dans les secteurs de la fabrication, du commerce de détail et du gros sont toutes soumises à ce décalage de deux mois. Pour une raison bien simple : il faut du temps pour recueillir des données, les épurer et les classer – sans compter que les entreprises et les consommateurs ne sont pas toujours partants pour participer au sondage servant justement à récolter toutes ces données. Par chance, il est possible d'obtenir certaines séries de données plus rapidement. Par exemple, les données sur les prix et les emplois de même que sur les intentions des responsables des achats sont parmi les principales séries de données accessibles en un mois ou moins. D’ordinaire, ces données attirent notre attention en raison de leur valeur prospective. 

Pourtant, la COVID-19 leur a fait « mordre la poussière » de  plusieurs façons. Ces séries de données ont subi les effets de la pandémie, car les chiffres ont carrément raté la cible. Certaines données s'apparentent déjà à des données en temps réel. Les puristes s’empresseront de dénoncer les lacunes du système. Néanmoins, pendant la pandémie, on a constaté que les données liées au taux d'infection, de rétablissement et de mortalité dans toutes les régions du globe étaient mises à jour toutes les 20 minutes, ce qui est remarquable. Ces données sont vite devenues le principal indicateur avancé de l'activité économique à l'échelle mondiale. Le chemin parcouru pour sortir de la crise de la COVID-19 est examiné en fonction de la capacité d’aplanir les courbes d’infection et de faire chuter les taux de mortalité un peu partout sur la planète, et d’abord chez les pays de la « première vague ». 

Les données très encourageantes de la relance dans les premiers pays touchés soulèvent un certain optimisme sur le marché. Même les nations adhérant à des politiques prudentes de retour au travail observent une embellie sur les fronts de l’emploi, des ventes et des intentions de production. C’est le cas en Chine, en Corée du Sud et dans les pays ayant été les premiers foyers d’infection en Europe. Cette amélioration – tellement subite qu’elle semble surréaliste et même confondre les sceptiques – survient sur fond d’inquiétudes quant à la possibilité d’une seconde vague d’infections et d’un retour au confinement.

Dans l’ensemble, les données canadiennes pour le mois d’avril sont maintenant accessibles. Comme il s’agit du premier mois complet de confinement, les chiffres sont décevants. Sans surprise, les secteurs du commerce international et de la fabrication ont été malmenés; et compte tenu de la terrible déconvenue du commerce de détail en mars, les données d’avril devraient être désastreuses. 

Et celles du mois de mai? Si les chiffres de l’emploi sont annonciateurs de bonnes nouvelles, nous remontons la pente. Pendant le mois, 290 000 emplois (surtout à temps plein) ont été créés au Canada, notamment dans la belle province qui avait déjà mis en place des politiques de retour au travail. Ce résultat vient à peine compensé les trois millions d’emplois perdus en mars et en avril, mais il est dix fois supérieur à celui des emplois créés pendant un bon mois avant la pandémie. Il y a aussi des nouvelles favorables en provenance du Sud de la frontière, où l’économie s’est remise à tourner : ainsi, en mai, les États-Unis ont créé 2,5 millions d’emplois, après en avoir perdu quelque 22 millions.

Cette première lueur d’espoir en plusieurs semaines soulève deux questions. La première : que se passera-t-il quand les travailleurs nouvellement réengagés se remettront à dépenser? Ces dépenses stimuleront les secteurs du détail, du logement et des services, quels qu’ils soient. Cette situation devrait inciter les personnes ayant conservé leur emploi lors de la crise à puiser dans une partie des liquidités qu’ils ont accumulées vu l’absence des dépenses affectées au transport, aux sorties dans les restos, aux événements sportifs, aux spectacles et aux vacances, entre autres. La deuxième question qui m’interpelle : que nous réserve le mois de juin? Si la relance partielle et hésitante de mai se transforme en une relance généralisée en juin et par la suite, le dynamisme ne fera qu’augmenter. Enfin, une troisième question mérite d’être posée : l’élan se maintiendra-t-il sous l’effet d’un processus d’autorenforcement? Autrement dit : le retour progressif à un niveau habituel d’activité – en l’absence d’une seconde vague d’infections – ne devrait-il pas se traduire par un retour plus  vigoureux vers la normalité? Le temps nous le dira, mais les données du passé confortent cette idée. 

Une seconde vague d’infections serait une ombre au tableau. Toutefois, autant qu’on puisse en juger, les effets connus de la pandémie ont été gérés promptement et efficacement. Et c’est logique, vu leur coût potentiellement très élevé. Par ailleurs, les mécanismes de gestion de la pandémie sont déjà en place et peuvent être activés ou redéployés avec moins d’efforts qu’auparavant. 

Conclusion?

Le rebond économique, dans la foulée de la crise de la COVID-19, sera robuste : les chiffres nous en donnent déjà un aperçu. L’ampleur de la relance dépendra dans une large mesure de notre état d’esprit : notre stupeur restera-t-elle si grande qu’elle nous maintiendra à l’écart de l’activité économique? Les statistiques encourageantes de la relance auront-elles un effet d’entraînement? Le mois de juin étant commencé, c’est peut-être déjà le cas. Si seulement on disposait de données en temps réel!