C’est un développement inattendu. D’ordinaire, en temps de pandémie et de perspectives économiques incertaines, les consommateurs misent sur l’épargne, achètent uniquement des biens « essentiels » et reportent les autres achats, notamment de biens représentant des dépenses substantielles et inhabituelles. Ce ne semble pas être le cas dans la présente conjoncture. En effet, dans l’économie, les ventes d’automobiles ont été parmi celles qui se sont redressées le plus rapidement. La demande demeure si forte que les fabricants ont du mal à suivre la cadence. Comment l’expliquer?
La demande de véhicules sur le marché américain – la destination de la plupart des véhicules construits au Canada – était au départ très dynamique. Sur une base mensuelle, les ventes moyennes de véhicules légers ont progressé au rythme de 17,1 millions d’unités au cours des six mois précédant la pandémie, une demande somme toute robuste. Les ventes sont descendues à 11,4 millions d’unités en mars et à 8,7 millions en avril. De mai à juillet, l’activité était timide, mais elle a redécollé en août avec 15,2 millions d’unités et poursuit depuis sur cette lancée. De novembre à février, la moyenne mensuelle était de 16,3 millions d’unités.
Les constructeurs automobiles ont été parmi les plus touchés par la crise. Au Canada, la production a chuté de 91 % du jour au lendemain, ce qui n’a pas manqué de secouer les marchés et d’alimenter les spéculations sur la possibilité d’une crise aussi grave que celle de 2009. Le rapide rebond des ventes a relancé la production, ce qui a permis à cette industrie de se revendiquer d’entrée de jeu comme le secteur s’étant « le plus amélioré ». Et c’était mérité. Par le passé, ce secteur a connu son lot de bouleversements : fermetures d’usine à des fins de réoutillage; renouvellement des modèles; modernisation des installations; et j’en passe. Cette fois, rien n’était prévu, mais tout s’est déroulé sans anicroche. Le secteur a repris du service sans difficulté dès que la demande s’est manifestée.
Est-ce vraiment le cas? Les ventes sont solides, mais elles se sont orientées à la baisse en février. S’agit-il d’un repli saisonnier? C'est peu probable, car les chiffres sont ajustés pour tenir compte de cette éventualité. Les pessimistes vous diraient que c’était inévitable et que les ventes sont rattrapées par la pandémie. Ils seraient dans l’erreur. Le problème, semble-t-il, n’est pas du côté de la demande, mais plutôt de l’offre.
Les fabricants n’aiment jamais s’avancer sur le front des ventes. Leur objectif est que le concessionnaire dispose en moyenne de stocks s’élevant à 60 jours au taux actuel des ventes. Aux États-Unis, les stocks se trouvent tout juste au-dessous de ce niveau pour les ventes d’autos. La réalité, c’est qu’on achète de moins en moins de voitures et affectionne de plus en plus les multisegments, les VUS, les camions légers et même les minifourgonnettes. Dans ces catégories, les stocks ont glissé à seulement 45 jours.
C’est le plus bas niveau atteint depuis 2009, mais cela n’a rien de nouveau. Le secteur a déjà composé avec de faibles stocks qui, en moyenne, se sont établis à 51 jours depuis juin dernier. Pour ces catégories qui ont la cote, les constructeurs peinent à maintenir la cadence.
Pour un secteur réactif comme l’automobile, c’est embêtant. Le problème n’est pas le manque d’organisation, mais bien la pénurie d’intrants de première importance. L’envolée des cours du cuivre montre que, récemment, il est difficile de se procurer ce métal et d’autres métaux de base. Dans le même temps, les contraintes pesant sur l’offre en Asie ont accablé le secteur des micropuces, ce qui pourrait perturber l’activité des constructeurs.
La demande de véhicules n’est sans doute pas près de s’essouffler. L’emploi est de nouveau à la hausse aux États-Unis et les consommateurs disposent des abondantes liquidités accumulées pendant la pandémie – des fonds facilement accessibles. Tout indique que les consommateurs feront un retour en force une fois le feu vert donné. Pour les constructeurs automobiles, le problème de l’offre est loin d’être résolu.
C’est là un « beau problème »? Pas vraiment : les exportateurs canadiens d’automobiles et de pièces d’auto ont vite repris le terrain perdu, et leurs exportations ont grimpé en juillet à 110 % par rapport aux niveaux d’avant la crise. Seule la filière alimentaire peut en dire autant. Depuis, les exportations ont reculé à 8 % du sommet d’avant la pandémie – encore une fois, non pas en raison de la demande, mais surtout de l’offre.
C’est une bonne chose étant donné que licencier des travailleurs est la dernière chose souhaitée à cette étape-ci. Par chance, c’est loin d’être le cas. Il semble que le secteur consacrera les prochains mois à rattraper le temps perdu. Il y a donc fort à parier que les doléances d’avant la pandémie au sujet des problèmes de capacité vont refaire surface.
Conclusion?
L’un des signes les plus révélateurs du dynamisme fondamental de l’économie américaine est la volonté du consommateur de faire de gros achats, par exemple d’un nouveau véhicule. Aujourd’hui, cette décision est moins motivée par la faiblesse des taux d’intérêt que par de forts taux d’épargne et de liquidité. La confiance ne bat donc pas de l’aile comme certains médias populaires aiment à le suggérer. C’est une bonne nouvelle pour le secteur canadien des exportations pour qui l’été et l’automne 2021 s’annoncent prometteurs. Le secteur canadien de l’automobile ressent-il déjà les forces G engendrées par ce coup d’accélérateur?